jeudi 5 avril 2018

Wolfgang Rihm, cinq questions au compositeur allemand le plus prolifique de notre temps (interview 2000)

Wolfgang Rihm (né en 1952). Photo : DR

Lorsque je rencontrais pour la première fois Wolfgang Rihm (né en 1952 à Karlsruhe, où il enseigne), c'était dans une charmente ville thermale de la Forêt-Noire, à Beidenweiler, à vingt kilomètres de Freibourg-im-Breisgau. Nous étions à quelques jours du début de l'édition 2000 du Festival Musica de Strasbourg, qui lui consacrait l'essentiel de sa programmation. Tel Socrate, le visage gouailleur et le rire sonore, le Maître, alors âgé de 48 ans, était entouré d'étudiants et de membres de l'ensemble Klangforum, attablé autour d'une bière bienvenue en ce début de mois de septembre. Les aléas de l'informatique ont fait que j'ai perdu la version complète de l'entretien qu'il m'a accordé, mais le peu qu'il en reste me semble suffamment intéressant pour le publier ici. 


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Bruno Serrou : Parmi les compositeurs allemands, vous êtes l’un des plus célébrés dans le monde. Il y a Karlheinz Stockhausen et Hans-Werner Henze, vos aînés, Helmut Lachenmann, de la génération intermédiaire, et vous. Vous qui enseignez la composition, l’école allemande est-elle toujours aussi dynamique aujourd’hui, quel est son potentiel ?
Wolfgang Rihm : Il n’existe pas d’école allemande. Heureusement ! Il est vrai que les médias ont tendance à ne parler que de quelques personnalités, et surtout il faut penser que des noms ne pourraient s’imposer s’il n’existait pas un humus. Le vivier est très riche en Allemagne. Et s’il ne se remarque pas, c’est parce que la vie musicale allemande, comme le reste, n’est pas centralisée, contrairement à la France. Il existe chez nous plusieurs pôles d’activité, répartis dans quantité de villes, si bien qu’il y a des écoles différentes, des professeurs différents où l’on apprend des choses différentes. Il y a Freiburg-im-Breisgau, Karlsruhe, Munich, Bonn, Stuttgart, Cologne, Berlin, ce qui permet d’avoir accès à quantité de tendances, de styles. Je ne cesse de recommander à mes élèves d’aller un peu partout glaner tel ou tel apprentissage, rencontrer tel compositeur qui va leur faire découvrir ce qu’ils n’imaginent même pas, et c’est à eux de voir si c’est bien pour eux ou pas. L’Allemagne musicale est donc extrêmement riche, et il est bon que l’on ne puisse pas dire qu’il existe une école allemande mais diverses possibilités, de multiples esthétiques. C’est ce qui fait la richesse de l’Allemagne musicale. Il ne faut surtout pas oublier est qu’après la Seconde Guerre mondiale beaucoup de compositeurs étrangers ont enseigné en Allemagne, Pierre Boulez notamment, mais il y a aussi l’école de John Cage. L’Allemagne se trouve ainsi à un carrefour de tendances, d’influences qui sont arrivées d’un peu partout, et il est bon que les structures ne soient pas pyramidales. Il y a tellement de personnalités qui ont influé sur la musique allemande de l’après-guerre que c’en est devenu une richesse.

B.S. : Pouvons-nous évoquer votre musique ?
W.R. : Je ne tiens pas à en parler. Ma façon de traiter ma propre musique est d’écrire de la musique, et si je dois la commenter, je le fais en composant. J’agis, je suis un homme d’action, et ma façon d’agir est d’écrire de la musique.

B.S. : Est-ce pourquoi vous écrivez tant ?
W.R. : Peut-être… Quand je compose, je me rends compte que ce que j’écris est d’abord la musique telle que j’ai voulu la faire, puis je me dis « ah oui, si je faisais comme ceci, ça pourrait donner cela », mais je ne veux pas savoir ce que cela donne sans le faire tout d’abord, il me faut donc agir. Tant et si bien que je finis par écrire une œuvre nouvelle. L’on ne peut pas parler à mon propos d’un seul style, et je refuse que l’étiquette « nouvelle simplicité » me soit accolée. Je fais au contraire de la musique de styles hétérogènes parce que si je n’obéissais qu’à un style unique, mon œuvre serait beaucoup moins riche, je n’aurais pas écrit autant parce que je n’aurais eu qu’un seul point de départ stylistique, mais comme je dialogue, commente ma musique avec ma musique, je change continuellement de style.

B.S. : Vous donnez-vous le droit à l’erreur ? En composant beaucoup, vous avez certes plus de chance d’écrire un chef-d’œuvre, mais vous prenez aussi le risque de vous fourvoyer plus souvent. Etes-vous conscient de vos échecs et de vos réussites au sein d’un catalogue de plus de deux cent trente numéros d’opus ?
W.R. : Tout ce que j’écris, au moment où je l’écris, est ma vérité. Il peut m’arriver, après l’exécution d’une pièce, de me dire tout d’abord que ce n’est pas la meilleure de mes pièces, mais après quelques années quand j’entends la même œuvre, je conviens que, finalement, je suis allé beaucoup plus loin que je le croyais lors de la première exécution. Je ne souhaiterais jamais faire de maquillage ou de chirurgie esthétique, où qu’il puisse m’arriver de rayer telle ou telle partition de mon catalogue, puis dix ans plus tard en supprimer une autre. Ce n’est pas du tout ma démarche, parce que chacune a sa vérité, chaque pièce dit quelque chose de moi au moment où je l’ai écrite. Je ne compose pas pour l’Eternité dans la mesure où je crée au présent. Après, on verra ce qui reste ou pas de moi, mais ce n’est pas à moi de faire mon choix parce que tout est pour moi ma vérité.

B.S. : Parmi les compositeurs vivants, vous êtes l’un des plus prolifiques, surtout lorsque l’on considère votre âge : 48 ans.
W.R. : Je ne suis pas chef d’orchestre, je ne dirige donc pas mes propres œuvres. J’ai ainsi plus de temps pour composer, et je ne considère pas l’enseignement comme une activité qui prend du temps, parce que j’enseigne d’une façon qui n’est pas très académique. Je voyage de moins en moins, car même si mes œuvres sont jouées un peu partout dans le monde, il n’est pas nécessaire que je sois partout. Je veux donc rester de plus en plus chez moi, et prends le temps d’écrire. Lorsque je suis dans un train, je travaille tout le temps, ma tête ne cesse de travailler, même si je ne suis pas toujours devant une feuille de papier. Je ne compose pas constamment, mais j’aime être balancé par le rythme du train, dont les oscillations résonnent dans ma tête. Et lorsque je me mets à ma table de travail, je suis très concentré. Une fois que je commence, je m’y mets vraiment, et j’aime écrire, et c’est en travaillant beaucoup que j’arrive à faire.

Recueilli par Bruno Serrou
Badenweiler (Forêt-Noire), le 6 septembre 2000

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