samedi 14 avril 2018

Jean-Claude Malgoire (1940-2018), mort après plus de 7000 concerts d’un «missionnaire de la musique»

Jean-Claude Malgoire (1940-2018). Photo : DR 

Chef d’orchestre, musicologue, hautboïste, pédagogue, créateur et animateur d’institutions, initiateur de l’aventure du « retour » de la musique baroque, quoique couvrant avec un égal engagement les répertoires du moyen-âge à nos jours, Jean-Claude Malgoire est mort dans la nuit de vendredi 13 à samedi 14 avril 2018 des suites de complications post-opératoires. Il avait 77 ans. Ses dernières apparitions sur scène remontent au mois de janvier dernier, à Tourcoing et au Théâtre des Champs-Elysées qu’il affectionnait tant, dans La Création de Haydn, avec La Grande Ecurie et la Chambre du Roy.

Jean-Claude Malgoire (1940-2018). Photo : DR

Né en Avignon le 25 novembre 1940 d’un père magasinier et d’une mère d’origine italienne, Jean-Claude Malgoire a toujours été musicien. Il est d’abord élève au Conservatoire de sa ville natale, avant de quitter la Cité des papes à 16 ans dans la perspective du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, où il entre à 17 ans. Il en sort avec deux Premiers prix, l’un de hautbois, l’autre de musique de chambre. Hautboïste, il collabore avec plusieurs orchestres, Orchestre de la RATP, Harmonie des Usines Renault, Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, Orchestre de Chambre de Moscou, avant d’intégrer en 1967 l’Orchestre de Paris, où Charles Münch le nomme cor anglais solo. Il se plait aussi à se produire dans du jazz expérimental avec Michel Portal et Bernard Lubat dans un club parisien. En 1970, il donne la première exécution française de la Sequenza VII de Luciano Berio et intègre l’Ensemble 2e2m de Paul Mefano et l’Ensemble Européen de Musique Contemporaine. La création sera d’ailleurs l’essence de la vie de Malgoire, autant dans le domaine de la recherche dans le jeu des instruments anciens, dans la quête de l’interprétation des œuvres du passé, dans la recherche musicologique que dans la musique contemporaine. « Jean-Claude Malgoire était très proche de la musique contemporaine, confirmait le compositeur Pascal Dusapin en 2001. Il la comprend très bien … Quand j’étais tout jeune compositeur, il jouait dans des ensembles, et il lui est arrivé d’interpréter ma propre musique. »

Jean-Claude Malgoire et Philippe Jaroussky. Photo : DR/La Voix du Nord

Mais, alors que les années 1960 marquent un tournant dans l’univers musical français qui redécouvre la musique baroque, Jean-Claude Malgoire, en artiste éclectique, fonde dès 1966 un ensemble jouant sur instruments anciens ou copie d’anciens, La Grande Ecurie et la Chambre du Roy. Mais, en musicien de son temps, son champ d’investigation va en-deçà et au-delà, couvrant avec son ensemble les musiques du XIe au XXIe siècle. A cette fin, à l’appel des édiles culturels locaux qui souhaitaient créer un pôle alternatif à l’opéra traditionnel implanté à Lille, il fonde en 1981 l’Atelier Lyrique de Tourcoing dont il est directeur artistique et dont il a eu le temps de préparer avant sa mort la programmation de la saison 2018-2019. Sans cahier des charges fixe, avec le plus haut niveau possible sans oublier de nombreuses actions sociales, il monte à sa guise tous les opéras qu’il souhaite à la façon « artisanale » qu’il affectionne particulièrement. 

Jean-Claude Malgoire et Pierre Constant travaillant Les Noces de Figaro de Mozart. Photo : DR/La Voix du Nord

Il en fait ainsi une maison d’opéra différente au répertoire diversifié, un laboratoire d’épanouissement de toutes les créations, de L’Orfeo de Monteverdi à Mare Nostrum de Mauricio Kagel, en passant par la Trilogie Mozart/Da Ponte, cycle mis en scène par Pierre Constant vu notamment au Théâtre des Champs-Elysées en 1996, et Le Viol de Lucrèce de Britten. « Nous avons pallié involontairement la scandaleuse suppression des troupes d’opéra, disait-il au quotidien La Croix en 1996. Si le chant français a traversé une crise, c’est bien parce qu’ont disparu ces institutions qui permettaient aux jeunes d’aborder tous les rôles et tous les répertoires en connaissant très vite l’épreuve de la scène. Le travail d’équipe que nous effectuons avait beaucoup manqué chez nous. Il est important qu’il y ait des chanteurs capables d’interpréter aussi bien Haendel, Mozart que Richard Strauss. Aujourd'hui, cela redevient possible en France. » Pour ces productions, Jean-Claude Malgoire faisait appel à de jeunes chanteurs qu’il se plaisait à découvrir et à leur confier de grands rôles. « J’ai pu progresser de façon exponentielle, stimulé par Malgoire, qui a le génie de faire confiance à des débutants pour de grands rôles », s’enthousiasmait Philippe Jaroussky lors d’une interview qu’il m’a accordée en 2006.

Jean-Claude Malgoire laisse heureusement à la postérité de très nombreux disques sous divers labels (Sony Classical, Arion, Opus 111, Zig-Zag Territoires, Pierre Vérany, Universal, Ricercar, etc.).

Sa fille, Florence Malgoire, excellente violoniste, poursuit la mission de son père, comme premier violon d’orchestres baroques tels que La Chapelle Royale, Les Talents lyriques et Les Arts florissants, dirigeant des ensembles, notamment Les Dominos qu’elle a fondé en 2003, et enseignant le violon baroque au Conservatoire de Genève et à la Schola Cantorum de Paris.

Bruno Serrou

Bibliographie : Jean-Claude Malgoire, 50 ans de musiques et d’aventure. Biographie de Virginie Schaeffer-Kasriel. Editions Symétrie 2005

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