dimanche 28 janvier 2018

"Only the Sound Remains" de Kaija Saariaho avec Philippe Jaroussky suscite l’enthousiasme à l’Opéra Garnier

Paris. Opéra de Paris, Palais Garnier. Mardi 23 janvier 2018.

Kaija Saariaho (née en 1952), Only the Sound Remains. Photo: (c) Opéra d'Amsterdam

Pour son quatrième opéra, après L’Amour de loin (2000) et Adriana Mater (2006) avec la même équipe constituée du librettiste Amin Maalouf, du metteur en scène Peter Sellars et du chef d’orchestre Esa-Pekka Salonen, deux commandes de Gérard Mortier, Emilie (2010) avec le même librettiste mais pour l’Opéra de Lyon, Kaija Saariaho s’est tournée pour son diptyque Only The Sound Remains vers le théâtre nô japonais du XVe siècle, retrouvant pour l’occasion le metteur en scène Peter Sellars tandis que le livret a été réalisé par Ezra Pound d’après les travaux d’Ernest Fenollosa sur les pièces nô de Zeami (1363-1443).

Commande de l’Opéra d’Amsterdam, où il a été créé en mars 2016, en coproduction avec l’Opéra de Toronto, le Teatro Real de Madrid et l’Opéra d’Helsinki, Only The Sound Remains réunit deux nô japonais de Zeami (Tsunemasa et Hagomoro) composés pour deux chanteurs solistes, deux quatuors, l'un vocal l'autre d'archets, percussion, flûte et kantele, un instrument à cordes finlandais proche du koto japonais, le tout conjugué aux murmures de l’électronique live. Les deux chanteurs solistes sont un baryton et un contre-ténor.

Célébré pour ses interprétations du répertoire baroque, c’est étonnamment dans une œuvre contemporaine qu’il a créée à Amsterdam voilà près de deux ans que Philippe Jaroussky fait ses débuts à l’Opéra de Paris, Only the Sound Remains de Kaija Saariaho. Ce n’est cependant pas sa première incursion dans ce domaine. « Ce qui m’intéresse dans la création tient au fait que le chanteur est confronté à des rôles écrits pour sa voix, contrairement aux œuvres du passé pensées pour des chanteurs aux spécificités vocales bien à eux. » 

Voilà quatre ans que, à l’issue d’un concert à la Philharmonie de Berlin, le metteur en scène Peter Sellars s’est présenté au contreténor. « J’avais envie de travailler avec lui depuis longtemps, mais ce qui m’avait été proposé ne me convenait pas, regrette Jaroussky. ‘’Je viens te voir parce que j’ai un projet avec Kaija Saariaho, que j’ai encouragée à se saisir de deux pièces de théâtre nô du XVe siècle, et c’est ta voix que J’entends dans cette œuvre’’ - Ok, mais je veux auparavant rencontrer la compositrice et lui chanter sa musique. » Après réception des deux premières scènes, Jaroussky retrouve par hasard Saariaho à New York. Il en profite pour lui chanter les deux extraits qu’elle lui avait envoyés. Tous deux satisfaits, le chanteur suggère à la compositrice d’écrire les deux parties de son diptyque pour contreténor, alors qu’une soprano était à l’origine envisagée dans le second. « Ce second volet de l'opéra n’étant pas encore écrit, j’ai pu travailler avec Saariaho et Sellars sur ce dernier, précise Jaroussky. La première partie est plus sombre, cette œuvre réunissant le Ying et le Yang. Le baryton représente l’être humain, d’abord un prêtre puis un pêcheur, je suis pour ma part un esprit torturé qui ne trouve pas le repos puis un ange féminin qui teste le pêcheur. »

Créé en mars 2016 à l’Opéra d’Amsterdam, Only the Sound Remains est constitué de deux opéras de chambre, Tsunemasa (Always Strong - Toujours fort) et Hagomoro (Feather Mantle - le Manteau de plumes). La musique est emplie de détails d’une beauté absolue, extrêmement raffinée, comme s’en enthousiasme justement Philippe Jaroussky. Avec deux chanteurs sur le plateau dans une ambiance singulièrement intimiste s’exprimant au milieu d’un décor unique, une toile peinte signée Julie Merhetu de toute beauté, et quelques lumières bien léchées de James F. Ingalls, Peter Sellars joue avec les ombres, et propose une œuvre qui peut dérouter certains, les passions humaines s’effaçant au profit d’une réflexion spirituelle et philosophique. Dans la fosse, un troisième personnage s’impose, le kantele, instrument à cordes pincées finlandais traditionnel brillamment tenu par Eija Kankaanranta. Ces trois personnages centraux sont entourés d’un quatuor vocal et de six instruments : quatuor cordes, flûte, percussion. L’écriture vocale de Saariaho plonge ses racines dans le recitare cantando montéverdien que la compositrice finlandaise maîtrise de façon exemplaire.

Les deux actes indépendants tournent autour de la lune, du vent et des tourments de la nature humaine. Dans chacun, un homme est confronté à une créature surnaturelle. Le premier s’attache à la figure de Tsunemasa, courtisan mort au combat. Un prêtre entretien sa mémoire en priant près d’un luth offert par l’Empereur à son favori. Tsunemasa lui apparaît sous une forme obscure dont « il ne subsiste que le son » Le second volet, le Manteau de plumes, rapporte les mésaventures d’un pêcheur qui cherche à s’approprier la cape de la Tennin, un esprit lunaire, avant d’y renoncer au profit d’une danse du plaisir.

Les deux volets à l’écriture toute aussi raffinée et onirique, plongent tel un songe dans des atmosphères opposées, la première façon murmure, sombre, intérieure, contemplative, répétitive, la seconde lumineuse, contrastée, plus dynamique et rythmée. Si la première partie semble s’étirer un peu, ce n’est pas le cas de la seconde, plus fluide et effervescente, mais aussi plus courte (cinquante minutes contre une heure dix), avec en outre la présence attachante d’une danseuse ange par une ballerine vêtue de blanc et aux gestes fort bien adaptés au sujet, spectre de Tsunemasa (superbe Nora-Kimball-Mentzos). Toute de finesse et de subtilité, la mise en scène de Peter Sellars s’appuie sur le geste, avec la précision, la densité, la variété du mime, intensifié par une direction d’acteur au cordeau. Mise en scène, décor, costumes, lumières entre en résonnance parfaite avec la musique de Kaija Saariaho, le tout enjolivé par les voix. D’abord celle, plastique, chaude, infaillible et pure du baryton Davône Tines à qui revient les rôles humains, le Prêtre, le Pêcheur, d’une tenue et d’une humanité bouleversantes, et Philippe Jaroussky, dans ces emplois de personnages venus du ciel, l’Esprit, l’Ange écrits pour lui, impose sa voix pleine, brillante et infaillible qui, espérons-le, devrait inciter les compositeurs à écrire de plus en plus pour lui.

Dans la fosse, les quatre voix des Theater Voices sont d’une beauté, d’une homogénéité et d’une agilité à toute épreuve dans leur partie génialement écrite par une compositrice qui connaît parfaitement le style madrigalesque. En familiers de l’œuvre de Kaija Saariaho, les sept musiciens dirigés avec art par Ernst Martinez Izquierdo participent à la poésie et à l’envoûtement de cette production.  

Bruno Serrou

Cette production a été captée à l’Opéra d’Amsterdam et est disponible en DVD chez Erato

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