lundi 26 octobre 2015

Pénélope de Fauré noble d’Anna Caterina Antonacci dans la mise en scène circulaire d’Olivier Py à l’Opéra du Rhin

Strasbourg, Opéra du Rhin, vendredi 23 octobre 2015

Gabriel Fauré (1845-1924), Pénélope. Anna Caterina Antonacci (Pénélope), Marc Laho (Ulysse). Photo : (c) Klara Beck

Connu du grand public pour sa Messe de Requiem et son Cantique de Jean Racine, Gabriel Fauré (1845-1924) a beaucoup écrit pour la voix, lui dédiant une centaine de mélodies, des pages chorales religieuses et profanes. Sa fibre lyrique s’est exprimée dans des musiques de scène pour le théâtre dramatique et dans le théâtre lyrique, avec la tragédie lyrique en trois actes Prométhée donnée aux Arènes de Béziers en 1900, et le poème lyrique Pénélope composé entre 1907 et 1912.

Gabriel Fauré (1845-1924), Pénélope. Anna Caterina Antonacci (Pénélope). Photo : (c) Klara Beck

Dans Pénélope se trouve le meilleur de l’auteur du Requiem. Au point qu’il a donné naissance à l’un des chefs-d’œuvre de l’opéra français du XXe siècle. C’est pourquoi l’on ne peut que s’étonner qu’il soit si rarement à l’affiche, la dernière production, sauf erreur, ayant été proposée voilà plus de seize ans à l’Opéra de Rennes avec Manon Feubel en Pénélope, production précédée en 1989 par celle de l’Opéra de Nancy avec Isabelle Vernet dirigée comme à Rennes par Claude Schnitzler - ils retrouveront tous deux l’œuvre en 2001 lors d’un concert Théâtre des Champs-Elysées. Sauf erreur ou omission, Paris n’a pas vu l’ouvrage depuis 1943, à l’Opéra de Paris, avec Germaine Lubin dans le rôle-titre, si ce n’est une autre version concert en 2013 dans le même Théâtre des Champs-Elysées qu'en 2001. L’œuvre est pourtant d’une accessibilité immédiate, et l’on oublie les vers plutôt emphatiques et datés de René Fauchois - l’auteur de Boudu sauvé des eaux -, volontiers admis avec le recul du temps par le librettiste et le compositeur eux-mêmes : quantité d’opéras sont écrits sur des textes plus faibles encore et n’en connaissent pas moins de constants succès. Quant à la partition, il est trop souvent affirmé que l’orchestration n’est pas de Fauré. En vérité, moins du cinquième de celle-ci est dû à une main étrangère, celle d’un certain Fernand Pécoud à qui le compositeur ne confia que les passages à orchestre réduit. Ce « poème lyrique », suggéré à Fauré par la cantatrice Lucienne Bréval, qui allait créer le rôle-titre, inspira au compositeur épris d'Antiquité grecque une musique aussi généreuse et envoûtante qu’originale. Dans Pénélope, Fauré emprunte au leitmotiv wagnérien qu’il adapte et simplifie et ouvre des voies nouvelles dans le traitement de la voix, mêlant récitatif, arioso accompagné et mélodie lyrique.
Gabriel Fauré (1845-1924), Pénélope. Anna Caterina Antonacci (Pénélope), et les prétendants. Photo : (c) Klara Beck
Créés à Monte-Carlo le 4 mars 1913, repris avec grand succès à Paris le 24 avril suivant lors des festivités de l’inauguration du Théâtre des Champs-Elysées, les trois actes de Pénélope exhalent une atmosphère profondément humaine, pudique, réservée, mais aussi dramatique et sensuelle. L'orchestre, auquel revient le matériau thématique, est souvent opalescent et permet à la voix de s’épanouir librement, mais il peut aussi se laisser porter par l’héroïsme du sujet, sans pour autant couvrir les voix. Le magnifique rôle de Pénélope est tout de vertu, de dignité, de l’attente obstinée dans la solitude, de la sobre grandeur a été l’apanage de Germaine Lubin, qui incarna les plus grandes Isolde et Brünnhilde que la France ait connues. Pourtant, cet ouvrage est rarement représenté, du moins en France, et il n’en existe que deux enregistrements.
Gabriel Fauré (1845-1924), Pénélope. Anna Caterina Antonacci (Pénélope), Marc Laho (Ulysse). Photo : (c) Klara Beck
L’Opéra du Rhin, où Pénélope n’avait pas été représentée depuis 1923, a fait appel pour le retour de l’ouvrage à l’affiche à Olivier Py, qui a monté la saison dernière dans ce même théâtre Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas, autre opéra français inspiré de la mythologie grecque. Py apprécie tant Fauré qu’il en avait inclus le Cantique de Jean Racine dans sa mise en scène du Soulier de Satin de Paul Claudel en 2003 où il s’était joint à la troupe qu’il avait réunie pour chanter l’œuvre avec elle. Sa conception du chef-d’œuvre de Fauré est loin du dépouillement et du statisme de celle qu’Alain Garichot a présentée à l’Opéra de Rennes.
Gabriel Fauré (1845-1924), Pénélope. Anna Caterina Antonacci (Pénélope), Edwin Crossley-Mercer (Eurymaque). Photo : (c) Klara Beck
Dans une scénographie en mouvement perpétuel - le décor tourne quasi continument sur lui-même au point de donner le tournis au spectateur -, réalisée par son fidèle collaborateur Pierre-André Weitz, se construisant et se déstructurant à l’envi, avec en son centre une étendue d’eau par trop sonore où évolue les protagonistes ainsi qu’un bruyant destrier monté avec panache par son cavalier - pensons ici à un autre cheval, qui, à Genève, l’après-midi de la première de la Damnation de Faust donnée sous une forte chaleur, avait déposé des crottins puants qui suscitèrent quelques malaises parmi les spectateurs, si bien que dans les représentations suivantes, Py condamna l’animal à rester à l’écurie -, les trois actes se déploient sans interruption, ce qui donne à l’œuvre une grande unité dramatique. Py signe un spectacle en noir et blanc où les protagonistes se meuvent avec un naturel qui reflète une direction d’acteur au cordeau.
Gabriel Fauré (1845-1924), Pénélope. Anna Caterina Antonacci (Pénélope), Marc Laho (Ulysse), un figurant (Télémaque), Jean-Philippe Lafont (Eumée), Zia Grob (un pâtre). Photo : (c) Klara Beck
Dans cette ode à la fidélité et à l’intrépidité, Anna Caterina Antonacci, qui avait tenu ce rôle Théâtre des Champs-Elysées voilà deux ans face à l’Ulysse de Roberto Alagna, émeut en Pénélope toute en tensions intérieures et en pudeur, s’exprimant en un français irréprochable de sa voix claire et ardente. A ses côtés, Marc Laho est un Ulysse héroïque au chant d’une singulière douceur. Au sein d’une distribution homogène où les femmes se distinguent, particulièrement Elodie Méchain, Euryclée à l’alto de velours, et Sarah Laulan au chaud mezzo dans le trop court rôle Cléone, les prétendants étant des mâles grossiers que seul le sexe préoccupe, relevons la présence de Jean-Philippe Lafont, qui brosse un Eumée sonore mais ardent.
Gabriel Fauré (1845-1924), Pénélope, finale Anna Caterina Antonacci (Pénélope), et le Choeur de l'Opéra du Rhin. Photo : (c) Klara Beck
Patrick Davin, qui a déjà travaillé avec le metteur en scène à Genève en 2003 dans la Damnation de Faust de Berlioz, dirige avec rigueur l’Orchestre Symphonique de Mulhouse plutôt cohérente dont il est le patron depuis deux saisons et qui aurait sans doute été moins sec et abrupt s’il avait été plus étoffé côté cordes.
Bruno Serrou
1) Opéra de Strasbourg, jusqu'au 3 novembre. La Filature de Mulhouse les 20 et 22 novembre. 2) Le premier avec Jessye Norman et dirigé par Charles Dutoit (2 CD Erato), le second avec Régine Crespin dirigé par D. E. Inghelbrecht (2 CD Rodolphe, distribution Harmonia Mundi)

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