samedi 17 octobre 2015

Gautier Capuçon dans le premier Concerto pour violoncelle de Philippe Manoury

TParis, Théâtre des Champs-Elysées, mercredi 14 octobre 2015

L'Orchestre de Chambre de Paris au Théâtre des Champs-Elysées. Photo : (c) Bruno Serrou

La création d’une œuvre de Philippe Manoury est toujours un événement impatiemment attendu. C’est donc avec hâte que nous nous sommes rendus mercredi Théâtre des Champs-Elysées où l’Orchestre de Chambre de Paris dirigé par son nouveau directeur musical, le hautboïste chef d’orchestre écossais Douglas Boyd donnaient en première mondiale un concerto pour violoncelle du compositeur français qu’il a commandé avec le soutien de la Fondation Ernst von Siemens. L’événement était d’importance, puisque, une fois n’est pas coutume, plusieurs compositeurs ont fait le déplacement, à l’instar entre autres de Régis Campo, Yan Maresz ou Philippe Scholler…

Douglas Boyd. Photo : (c) John Batton / Douglas Boyd

Sous le titre prometteur Bref aperçu de l’infini, ce concerto pour violoncelle et orchestre (bois par deux, deux cors, deux trompettes, deux percussionnistes, huit premiers et huit seconds violons, six altos, quatre violoncelles et trois contrebasses) se déploie sur vingt-cinq minutes en un seul tenant. L’œuvre puise son matériau dans la splendide Chaconne pour violoncelle solo et six violoncelles que Philippe Manoury a composée pour les quatre vingt dix ans de Pierre Boulez à la demande de Marc Coppey qui l’a créée avec six violoncellistes du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris le 22 mars dernier sur le plateau de l’Auditorium de la Philharmonie 2 ex Cité de la Musique (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/03/le-vibrant-hommage-pierre-boulez-de.html).

Tandis qu’il profitait de son passage à Paris - il vit et enseigne depuis deux ans à Strasbourg, après son retour de San Diego aux Etats-unis - pour présenter son projet de cinquième opéra, Kein Licht sur des textes de la prix Nobel de littérature autrichienne Elfriede Jelinek, amie et collaboratrice de la compositrice Olga Neuwirth, dont la création est prévue à l’automne 2017 à l'Opéra Comique à Paris et qui a pour particularité d’être en partie financé par un financement participatif (cliquer sur ce lien https://www.culture-time.com/projet/kein-licht pour une donation) qui permet à toute personne ayant porté son écot de participer à la genèse de l’œuvre et à la production, Manoury a activement assisté aux dernières répétitions du concerto. Ainsi a-t-il pu donner ses recommandations aux réglages ultimes, avant d’être dans la salle pour entendre sonner sa partition nouvelle.

Philippe Manoury (né en 1952). Photo : (c) Radio France / HÉLÈNE COMBIS-SCHLUMBERGER

Dans Bref aperçu sur l’infini, comme dans la Chaconne qui l’a inspiré, Philippe Manoury ne fait pas appel à l’informatique en temps réel. Il s’agit d’une œuvre purement acoustique, même s’il est évident qu’elle doit beaucoup à l’expérience unique du compositeur en la matière et sans qui l’IRCAM ne serait pas devenu ce qu’il est aujourd’hui, l’outil de référence dans le domaine de la transformation du son en temps réel. Contrairement à son somptueux Concerto pour piano Echo-Daimónon créé le 2 juin 2012 Salle Pleyel en ouverture du Festival ManiFeste (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/06/une-splendide-creation-de-philippe.html), qui associait un piano acoustique soliste à une électronique engendrant quatre claviers virtuels, ke son mis en résonnance par l’informatique en temps réel étant créé à partir de ceux de pianos préexistants, le Concerto pour violoncelle n’use d’aucun artifice sonore. Pourtant, peu de traces de l’écriture instrumentale et orchestrale comparable à la palette d’un peintre aux multiples facettes qui magnifiait le concerto pour piano, avec des éclats de couleurs chaudes et bigarrées de Jackson Pollock, les grands traits de pinceaux jaillissants façon Pierre Soulages, les à plat au centre de l’œuvre qui faisaient penser à Yves Klein, tandis que les apparitions des diables pianistes sont des fantômes de Francis Bacon… Contrairement au pianiste Jean-Frédéric Neuburger, également compositeur, soliste de la création du Concerto pour piano, le violoncelliste Gautier Capuçon n’est pas un foudre de guerre en matière de musique contemporaine…

Gautier Capuçon. Photo : DR

Aussi, conscient du manque d’expérience dans le domaine de la musique la plus inventive d’aujourd’hui de ses commanditaires et premiers interprètes ainsi que du public du Théâtre des Champs-Elysées, Philippe Manoury, tout en cherchant naturellement à rester fidèle à lui-même, n’a pas voulu effaroucher l’auditoire « bourgeois » qui fréquente habituellement la salle de l’avenue Montaigne, craignant peut-être un nouveau scandale après le Sacre du printemps de Stravinsky en 1911 et Désert de Varèse en 1954 (ceux qui sont venus avec l’espoir d’une nouvelle « bataille d’Hernani » sont repartis bras ballants et circonspects). Mais aussi ne pas déstabiliser ni mettre en danger ni son soliste ni l’orchestre, qui n’a que peu à exprimer, en tout cas rien de bien novateur, tant l’écriture est classique. Notablement concentré, Gautier Capuçon n’a pas eu le loisir de faire ses simagrées et ses mouvements de mèche rebelle dont il use et abuse dans ses exécutions de pages du répertoire. Le son de son instrument - un Matteo Goffriller de 1701 - est toujours somptueux, ce qui sert bien évidemment l’œuvre de Manoury, mais le violoncelliste était comme tétanisé par la mission qui lui était confiée, contraint dans son interprétation et dans son jeu par une partition qu’il ne s’est pas pleinement accaparée. Quant à l’Orchestre de Chambre de Paris, il n’était pas non plus vraiment à l’aise, et ses sonorités ont manqué de chair et de contrastes. A la fin de l’exécution de son concerto, lorsque le compositeur est venu saluer, il n’a pas semblé si heureux que ça... 

Douglas Boyd, Philippe Manoury, Gautier Capuçon (derrière le pupitre du chef) et l'Orchestre de Chambre de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Des problèmes de mise en place s’étaient révélés au sein de l’orchestre dès le premier mouvement de la pièce d’ouverture, le Concerto en mi bémol majeur « Dumbarton Oaks » d’Igor Stravinski, un Stravinski pourtant dans sa période néo-classique, peut-être la plus difficile à réaliser il est vrai. Au-delà de quelques fautes du côté des instruments à vent, la rythmique est apparue plate et pesante, la conception de Douglas Boyd manquant de dynamique et de rebonds qui font l’une des saveurs de Stravinski. La seconde partie du concert était consacrée aux deux partitions que Mozart composa pour le mécène salzbourgeois Sigmund Haffner. Deux œuvres plus en concordance avec l’expérience des musiciens de l’Orchestre de Chambre de Paris et de son public, du moins celui qui le suit Théâtre des Champs-Elysées…

Bruno Serrou

1 commentaire:

  1. Merci, encore une fois de ton objectivité, ou à tout le moins de ton opinion tranchée. Opinion(s) qui se fait de plus en plus rare… Merci Bruno et continue ce blog.

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