samedi 5 septembre 2015

Le Boston Symphony Orchestra, Andris Nelsons et Yo-Yo Ma ont ouvert la belle saison parisienne 2015-2016 qui s’annonce à la Philharmonie de Paris

Paris, Philharmonie de Paris, jeudi 3 septembre 2015

Andris Nelsons. Photo : DR

Somptueuse affiche pour l’ouverture de saison musicale parisienne offerte par la Philharmonie de Paris à son public. La plus grande salle de concerts parisienne a en effet invité pour l’occasion le Boston Symphony Orchestra dans le cadre de sa première tournée en Europe avec son nouveau directeur musical, Andris Nelsons, qui vient de succéder à l’Américain James Levine. En prélude à sa cent trente cinquième saison, la somptueuse phalange états-unienne, l’un des fameux « Big Five » US qui est aussi le plus « français des orchestre d’outre-Atlantique » (ses trompettistes continuent à jouer sur des instruments à pistons, alors-même que les orchestre français adoptent de plus en plus la trompette à palettes), a présenté un programme germano-russe plongeant dans le postromantisme, avec une œuvre de la fin du XIXe siècle allemand et une du deuxième tiers du XXe siècle russe.

Boston Symphony Orchestra Philharmonie de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Avant son arrivée, le Boston Symphony Orchestra n’avait pas caché leur plaisir de découvrir la nouvelle salle parisienne où s’est déjà produit leur nouveau « boss » et dont la réputation s’est rapidement répandue à travers le monde, comme l’atteste l’exigence de Simon Rattle lorsqu’il a été approché par le London Symphony Orchestra, posant comme condition que Londres suive l’exemple de Paris en construisant avant sa venue un salle de concert comparable à la Philharmonie de Paris, alors-même que Londres dispose déjà d’un parc plutôt fourni et de qualité. L’on a bien perçu d’ailleurs que l’orchestre nord-américain, malgré l’expérience du lieu son chef letton, a tâtonné dans la mise en place de ses pupitres, les équilibres entre ayant été loin d’être convainquants. Ainsi, avoir placé dans le Don Quichotte de Richard Strauss le tuba ténor à côté de la clarinette basse a fait que chacune des interventions de cet instrument n’a cessé de couvrir cordes et bois, tandis que le violoncelle solo n’a pas toujours été clairement perceptible, au-delà des moments au cours desquels il se doit de se fondre au sein de l’orchestre. En outre, placé au centre des fauteuils d’orchestre, excellente place au demeurant, le temps de réverbération relativement lent a suscité plusieurs fois un écho parfois gênant.
Yo-Yo Ma (violoncelle), Andris Nelsons et le Boston Symphony Orchestra répètent Don Quichotte de Richard Strauss Philharmonie de Paris. Photo : (c) Philharmonie de Paris

Don Quichotte de Richard Strauss

L’on sait les affinités d’Andris Nelsons pour Richard Strauss (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/01/la-jeunesse-du-chef-andris-nelsons-et.html ; http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/03/jonas-kaufmann-andris-nelsons-et-le.html), et le chef letton, disciple de Mariss Jansons, n’a pas failli dans Don Quichotte. Avec un orchestre aux textures lumineuses et plus souples que celles des orchestres avec lesquels il s’était produit jusqu’à présent à Paris (Orchestre de Paris, City of Birmingham Symphony Orchestra, Royal Concertgebouw Orchestra), il a réussi la gageure d’exalter l’écriture foisonnante et sensuelle du compositeur bavarois, mais aussi à lui donner une profondeur, un souffle métaphysique qui siéent à cette œuvre épique. Ample partition à l’écriture dense, virtuose et à l’orchestration foisonnante, le trop rare poème symphonique Don Quichotte op. 35 (1897) sous-titré « (Introduzione, Tema con Variazioni e Finale) Variations fantastiques sur un thème à caractère chevaleresque pour grand orchestre », variations qui, au nombre de dix, content en autant d’étapes les aventures du chevalier à la triste figure (personnalisé par le violoncelle solo) immortalisé par Miguel de Cervantès accompagné de son écuyer Sancho Pança (alto) et du fantôme de Dulcinée (violon), premier volet du diptyque Held und Welt de Richard Strauss dont la seconde partie n’est autre que Une Vie de Héros op. 40 (1897-1898) - diptyque au demeurant très peu proposé par les organisateurs de concert. La lecture d’Andris Nelsons a été épique à souhait, le chef letton tirant profit de la fluidité et des timbres luminescents de son orchestre de Nouvelle Angleterre, qui se sont avérés d’une plénitude plus affermie que celle du violoncelliste soliste tenu par l’une des figures les plus populaires parmi les musiciens, Yo-Yo Ma (1). L’Américain d’origine chinoise né en France a été peu présent dans cette œuvre, comme s’il était fatigué, ne parvenant pas toujours à se faire entendre, tirant de son instrument des sonorités sans volume et trop fines, ne donnant pas en outre la dimension chevaleresque de l’anti-héros straussien, préférant l'onirisme mais omme luttant avec un instrument réfractaire que l’on sentait pourtant capable de puissance et de colorations carnées. Malgré son immense talent, Ma n'a pas témoigné de vigueur et d'héroïsme, malgré des gestes parfois emphatiques et des mimiques pompeuses, préférant l'introspection et la méditation. En revanche, le remarquable premier alto du BSO, Steven Ansell, membre fondateur du Muir String Quartet, avec son jeu incroyablement sûr et ses sonorités ardentes et charnues, a incarné un extraordinaire Sancho Pança ,à l’instar de Malcolm Lowe, son Concertmaster, qui a campé une ardente Dulcinée.

Andris Nelsons et le Boston Symphony Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou

Symphonie n° 10 de Dimitri Chostakovitch

Tandis que paraît chez DG leur enregistrement de la même œuvre réalisé au Symphony Hall de Boston en avril dernier (1), le Boston Symphony Orchestra et Andris Nelsons ont donné la Symphonie n° 10 en mi mineur op. 93 que le chef letton avait déjà dirigée à la tête du Royal Concertgebouw d’Amsterdam en mars dernier en cette même Philharmonie de Paris (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/03/somptueux-concert-du-royal.html)


Commencée peu après la mort de Serge Prokofiev et de Joseph Staline (le compositeur écrit dans ses Mémoires qu’il y est question de Staline, alors qu’il avait déclaré lors de la création qu’il avait voulu y exprimer les sentiments et passions humains), achevée en octobre de la même année, créée à Leningrad le 17 décembre 1953 sous la direction d’Evgueni Mravinski, la Dixième Symphonie de Chostakovitch s’ouvre sur un vaste Moderato sombre et pessimiste qui donne à l’œuvre entière une tristesse incommensurable. Les thèmes longuement étirés et la tension croissante qui perdure jusqu’à l’ultime point culminant ramènent au climat de la Huitième Symphonie composée dix ans plus tôt. Disciple De Mariss Jansons, Nelsons a été formé à l’aune de l’univers de Chostakovitch. Comme son maître, il gomme le côté messe de gloire à la révolution soviétique pour lui donner un tour quasi brucknérien. Le jeune chef letton avait su trouver avec le Concertgebouw d’Amsterdam le juste équilibre des masses, clairement définies dans l’espace, tirant un merveilleux parti de l’acoustique de la Philharmonie, ménageant de bouleversants et intenses moments tout en retenue et en nuances, parfois à la limite du silence, pour mieux souligner les saillies et les violences hallucinées, faisant ainsi de cette symphonie un requiem pour Staline, le dictateur sanguinaire, et pour Prokofiev, le compositeur muselé par le précédent au point de mourir le même jour que lui, le 5 mars 1953, quatre mois avant que Chostakovitch s’attèle à cette Dixième Symphonie.

Andris Nelsons et le Boston Symphony Orchestra. Photo : (c) Philharmonie de Paris

Le Boston Symphony Orchestra s’est avéré moins investi et moins sûr dans cette œuvre qu’il l’est dans le somptueux enregistrement évoqué plus haut (2). Néanmoins, la clarté, la vélocité des pupitres, la rutilance des cuivres, le velouté des bois étaient bien tels qu’on les attendait de la part de cet extraordinaire ensemble. Mais, là aussi, comme dans Strauss, les équilibres n’étaient pas parfaits, l’acoustique, qui avait été extraordinairement exploitée et valorisée lors en mars dernier dans la même œuvre et avec le même chef, mais avec le Concertgebouw, apparaissant moins flatteuse et chaude avec le Boston Symphony Orchestra - mais, en mars, je n’étais pas assis à l’orchestre mais à la corbeille. Néanmoins, emportant la partition avec vivacité, Nelsons affine le côté musique de propagande, s’attardant pour les magnifier sur les moments où le compositeur laisse couler son aspiration épique. Il instille ainsi une densité mâle au pathos et à la pompe qui submergent si l’on n’y prend garde cette œuvre. Son long corps entièrement enfoui dans l’orchestre, il structure le sombre et accablant mouvement initial tel un architecte, donnant d’un geste ample mais précis de la main droite, alternativement avec ou sans baguette, départs, nuances et expressions, tandis que la main gauche marque la moindre modulation de tempo, occasion de gouter l’onirisme volubile des solos de clarinette puis de flûte, enfin des deux piccolos suprêmement chantants. La gestique du chef estonien est très expressive, et captive le regard du spectateur autant que celui des musiciens. Il pétrit dans la main gauche la pâte sonore, souligne la moindre inflexion du discours et dessine jusqu’à la plus discrète intention du compositeur. Nelsons dirige l’air de ne pas y toucher le bref mais implacable Scherzo aux rythmes fantastiques. Dans le complexe Allegretto, où Chostakovitch intègre un thème fondé sur ses initiales allemandes [D Sch - ré (D) mi bémol (Es), do (C), si (H)] dont le climat renvoie à celui du mouvement initial dont le premier thème réapparaît au cœur du morceau. Ce pessimisme patent magnifié par le chant plaintif des hautbois, flûte et basson solos, s’éclaire peu à peu dans la frénésie de l’Allegro final, où la musique se fait soudain simple et enjouée. Tout au long de l’exécution de l’œuvre, il était impossible de résister au lustre des mémorables soli de bois, particulièrement de clarinette et de flûte, mais aussi de basson, de cor anglais (Robert Sheena) et de hautbois, tandis que solo de cor (James Sommerville) et de violon (Malcolm Lowe) se sont particulièrement distingués, à l’instar des altos, des violoncelles et des contrebasses dans leur ensemble, sans que le tutti des BSO atteigne le niveau de plénitude de celui du RCO. 

Andris Nelsons et le Boston Symphony Orchestra dans leur bis. Photo : (c) Bruno Serrou

Peut-être était-ce dû à la fatigue suscitée par la longue tournée européenne du Boston Symphony Orchestra qui touchait à sa fin à Paris... Néanmoins, pour répondre aux appels insistants du nombreux public venu écouter ce fabuleux orchestre et son chef exceptionnel, et pour en rester à Chostakovitch, Andris Nelsons et le Boston Symphony Orchestra ont donné en bis un foudroyant Galop tiré de l'opérette Moscou-Tcheriomouchki (Moscou quartier des cerises).  

Bruno Serrou

1) Sony Classical vient de publier un CD intitulé « Yo-Yo Ma obrigado Brazil Live in Concert » (SK 90970)

2) CD « Chostakovitch Under Stalin’s Shadow » DG 479 5059 (avec la Passacaille servant d’interlude de l’Acte II de Lady Macbeth du District de Mtsensk)

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