jeudi 9 juillet 2015

La Périchole d’Offenbach révèle Héloïse Mas, grande Carmen en devenir, dans une production festive et policée des Festivals de Saint-Céré et des Folies d’Ô de Montpellier

Montpellier, Festival Les Folies d’Ô, Domaine d’Ô, mercredi 8 juillet 2015

Jacques Offenbach (1819-1880), la Périchole. Production Opéra Eclaté/Les Folies lyriques. Au centre : Hélène Mas (la Périchole), Marc Larcher (Piquillo). Photo : (c) Guy Rieut

C’est sur la découverte d'un lieu exceptionnel qu'a été placée la soirée « opérette et comédie musicale sous les étoiles » qui m'a conduit à Montpellier le temps d'un unique spectacle. Le Domaine d’O est en effet un site culturel de premier ordre. A côté d’un théâtre couvert, un second théâtre cette fois en plein air dans l’esprit de celui de l'Archevêché à Aix-en-Provence, mais en plus contemporain. Y sont donnés principalement des pièces de théâtre ou des concerts de musique du monde et populaires, mais la musique classique et surtout le théâtre lyrique y ont leur place, non seulement en raison d'un plateau de grande envergure mais surtout par la présence d’une fosse assez vaste et profonde. 

Jacques Offenbach (1819-1880), la Périchole. Production Opéra Eclaté/Les Folies lyriques. Au centre : Hélène Mas (la Périchole). Photo : (c) Guy Rieut

C’est donc en toute logique que l’association Folies lyriques y a élu domicile, sous la direction artistique du chef d’orchestre Jérôme Pillement, également directeur artistique d’Opéra Junior depuis 2009. Il y programme chaque année deux ou trois opérettes et opéras-bouffes ainsi qu’un festival et plusieurs manifestations dans le cadre de la Fête de la Musique. Cette fois, c’est un spectacle appelé à tourner dans toute la France dans les mois qui viennent que les Folies lyriques ont créé ce début de semaine Domaine d’Ô à Montpellier. Il s’agit d’une nouvelle production de l'opéra-bouffe de Jacques Offenbach la Périchole, coréalisée avec Opéra-Eclaté et le Festival de Saint-Céré.

Jacques Offenbach (1819-1880), la Périchole. Production Opéra Eclaté/Les Folies lyriques. Au centre : Hélène Mas (la Périchole). Photo : (c) Guy Rieut

Opéra-bouffe tiré de la nouvelle de Prosper Mérimée, l’auteur de Carmen dont les même Meilhac et Halévy s’inspireront pour le chef-d’œuvre de Georges Bizet, le Carrosse du Saint-Sacrement que Jean Renoir adaptera en 1953 pour le cinéma sous le titre le Carrosse d’or, la Périchole (1868) est l’un des opéras-bouffes les plus célèbres du « Mozart des Champs-Elysées ». Son livret, avec son dictateur d’opérette digne d’une aventure de Tintin amoureux d’une jolie métisse comédienne, et le cadre de l’action, le Pérou, ouvrent toutes les perspectives aux metteurs en scène, jusqu’aux délires les plus fous. Mais il faut aussi savoir y ménager des espaces de poésie, l’œuvre contenant de grandes pages d’émotion pure et de romantisme.

Jacques Offenbach (1819-1880), la Périchole. Production Opéra Eclaté/Les Folies lyriques. Photo : (c) Guy Rieut

Mis en scène par Benjamin Moreau et Olivier Desbordes, c’est bel et bien la patte de ce dernier qui émerge de ce spectacle enlevé, festif un brin grivois mais aussi empreint de nostalgie et de pudeur. A commencer par la distribution où l’on retrouve ses fidèles interprètes, comme Eric Vigeau et Yassine Benameur, inénarrables duettistes de lèches-bottes mielleux, roublards et balourds, mais aussi Antoine Baillot-Devallez, Samuel Oddos, Hervé Martin…

Jacques Offenbach (1819-1880), la Périchole. Production Opéra Eclaté/Les Folies lyriques.  L'affiche du spectacle à l'entrée du Domaine d'Ô. Photo : (c) Bruno Serrou

Entourés ainsi de ces vieux briscards champions assidus de Desbordes-le-facétieux, les deux principaux protagonistes n’ont qu’à se glisser sans forcer dans le sourire à la fois malicieux et grave d’Offenbach. Les qualités vocales et la plastique de ce duo révèle tout ce que Bizet et sa Carmen doivent à Offenbach et à sa Périchole. Plusieurs situations, les espagnolades, la figure de bohème de la chanteuse, la façon dont celle-ci mène les hommes par le bout du nez, le couple vocal mezzo-soprano/ténor, des airs et un certain nombre de tournures orchestrales apparaissent en toute évidence dans la mouvance de Mérimée pour le texte et de Bizet pour la musique. Ici, le grotesque le dispute au sublime, la comédie au tragique, le lyrisme au drame, le tout entremêlé avec science et avidité par un Offenbach au sommet de son art tandis que le Second Empire court à sa perte et se remet à grand peine de la mésaventure mexicaine dont le Pérou de la Périchole n’est que l’allégorie.  

Jacques Offenbach (1819-1880), la Périchole. Production Opéra Eclaté/Les Folies lyriques. Photo : (c) Bruno Serrou

Olivier Desbordes et Benjamin Moreau profitent du fait que les héros soient des artistes qui s'affrontent au pouvoir despotique qui les exploite et les maltraite pour intégrer les chevaux de bataille du premier, notamment les revendications des intermittents du spectacle. Moins surchargée que ce qu'offrait Jérôme Savary, la mise en scène de Moreau et Desbordes n’hésite pas à empiéter dans les espaces réservés au public, et s'avère lubrique mais sans excès.

Jacques Offenbach (1819-1880), la Périchole. Production Opéra Eclaté/Les Folies lyriques. Hélène Mas (la Périchole), Philippe Ermelier (Don Andrès de Ribeira, vice-roi du Pérou). Photo : (c) Guy Rieut

Marc Larcher est un Piquillo plein de charme et d’élégance, la voix est claire, ensoleillée, charnue, le chant coule avec naturel, le timbre est suave et se fond avec naturel à celui de sa comparse, la chanteuse de rues incarnée de magistrale façon par la superbe mezzo-soprano Héloïse Mas, Révélation de l’Adami 2014 qui a déjà tous les atouts pour devenir une grande Carmen : élégance, abattage, jeu de chatte énamourée, enjôleuse enjouée, voix chaude, moelleuse, ample, sensuelle au timbre de bronze. Face à eux, un vice-roi du Pérou adipeux et lubrique qui joue les rappeurs trop bien élevés. Moins convainquant est le trio des cousines, guère à leur avantage dans leur accoutrement de commères et aléatoires sur le plan vocal. En revanche, le Chœur de l'Opera de Montpellier est homogène et coloré. 

Côté fosse, sous la direction nuancée, précise et énergique de Jérôme Pillement, l'Orchestre Avignon-Provence est impeccable et ne mérite que des éloges, tous pupitres confondus. A l’instar d’Offenbach qui se plaisait à improviser des citations de pages célèbres en son temps dans ses œuvres, le chef en rajoute en références musicales, intégrant au premier acte une longue citation d’une œuvre célèbre qu’Ennio Morricone a composée pour un western spaghetti de Sergio Leone suivie d’une allusion à la Flute enchantée de Mozart alors que le chanteur songe à se pendre... Au total un réjouissant divertissement qui donne néanmoins à réfléchir autant qu’à sourire, qui « grandira, grandira, grandira, car il est espagnol-gnol-gnol ».

Bruno Serrou

Saint-Céré, Halles des sports les 3, 7, 11 et 15 aout à 21h30. Antibes,  Anthéa, les  25 et 26 octobre

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire