vendredi 12 juin 2015

Répons de Pierre Boulez fait son entrée à la Philharmonie de Paris,salle qui s’avère moins adaptée à ses particularités que laPhilharmonie 2

Paris, Festival ManiFeste de l’Ircam, Philharmonie, jeudi 11 juin 2015

Pierre Boulez, Répons à la Philharmonie. Photo : (c) Luc Hossepied

La dernière fois que le public parisien a pu entendre Répons de Pierre Boulez remonte au 15 avril 2010. C’était à la Cité de la Musique. Le compositeur assistait ce soir-là depuis la salle à l’exécution de sa partition par son Ensemble Intercontemporain, pour lequel il a conçu cette somptueuse partition au tournant des années 1980 à l’Ircam dont elle est devenue l’un des symboles. Il a dirigé chacune des évolutions de cette « Work in progress » dont il disait n’être parvenu qu’à la moitié de sa durée prévue, le plan initial envisageant un développement global de quatre vingt dix minutes. En 2010, Susanna Mälkki était au pupitre. L’œuvre est entrée hier soir dans l’enceinte de la nouvelle Philharmonie (1) un peu plus de deux mois après qu'elle ait célébré les 90 ans de son concepteur avec notamment une exposition de premier ordre (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/03/remarquable-retrospective-pierre-boulez.html) réalisée par Sarah Barbedette.

Pierre Boulez (né en 1925). Photo : (c) Ensemble Intercontemporain

La genèse de Répons a commencé en 1979, avec l’arrivée dans les murs de l’Ircam de la fameuse 4X, premier ordinateur conçu pour la musique avec transformation du son en temps réel. Ceux qui, comme moi, ont assisté aux premières exécutions de cette œuvre que son auteur laissera finalement en état genèse, se souviennent du gigantisme de ce premier ordinateur, que les équipes de l’Ircam déplaçaient dans un énorme camion et qui demandait des heures de montage, tandis qu’aujourd’hui, un simple ordinateur portable suffit… Répons est le fruit d’une commande du Südwestfunk de Baden-Baden pour le Festival de Donaueschingen, où il a été créé le 18 octobre 1981 sous la direction du compositeur à la tête de l'Ensemble Intercontemporain. L’œuvre est dédiée à Alfred Schlee, longtemps directeur des Editions Universal de Vienne, pour son quatre-vingtième anniversaire, et contient un hommage au mécène Paul Sacher, dont les lettres du nom forment une partie du matériau sonore. Le titre fait référence au répons de la musique religieuse médiévale dont le compositeur reprend l’idée de prolifération à partir d’un élément simple, et de dialogue entre jeu individuel, les six instruments solistes (deux pianos, harpe, xylophone, vibraphone, cymbalum) répartis au-dessus du public et autour de l’ensemble et spatialisés par l’informatique en temps réel par le biais de six haut-parleurs, et jeu collectif, l’ensemble instrumental (deux flûtes, deux hautbois, deux clarinettes et clarinette basse, deux bassons, deux cors, deux trompettes, deux trombones, un tuba, trois violons, deux altos, deux violoncelles, contrebasse), uniquement acoustique. Deux autres états de la partition ont suivi, une version élargie, créée à Londres en 1982, et une « deuxième version », créée à Turin en 1984. Répons restera inachevé, un inachèvement relatif cependant, car lorsqu’on lui parlait de sa partition, Boulez évoquait la forme de la spirale, à la fois close et achevée, et toujours en évolution…

Pierre Boulez, Répons. Plan manuscrit de la disposition du chef, de l'ensemble, des six solistes et du public. Photo : DR

Afin de permettre au public une écoute depuis deux places différentes, les sensations d’écoute étant distinctes selon l’endroit où l’auditeur est placé dans la salle, l’œuvre est souvent donnée deux fois dans un même concert. Ce qui n’a pas été le cas hier et qui est regrettable. Car, le dispositif scénique, dû à la géométrie de la nouvelle salle, s’est avéré frustrant. En effet, ce que j’ai appréhendé sitôt installé à la place qui m’avait été attribuée s’est bel et bien réalisé. Assis sept rangs à l’extérieur du cercle des six instruments solistes - derrière le second piano couvercle ouvert étouffant la dispersion du son vers l’arrière, à cour, et le vibraphone, à jardin, je me suis retrouvé à écouter Répons en stéréophonie et non pas en tétraphonie, comme le spécifie pourtant la partition, les « six solistes [devant] entour[er] le public ». 


Pierre Boulez, Répons à la Philharmonie.  Les deux pianistes et, au centre à l'étage, le cymbaliste, et une partie de l'ensemble. Photo : (c) Bruno Serrou

Comme un quart de l’auditoire réuni hier, il m’a fallu écouter Répons « à plat », comme muni d’un excellent casque sur une chaîne stéréo hi-fi tout aussi excellente, ce qui a bien évidemment atténué les reliefs, à l’exception des sons passant dans le haut-parleur installé en fond d’orchestre quatre rangs derrière moi. Je regrette d’autant plus ce désagrément que l’acoustique de la Philharmonie est si remarquable que les vingt-quatre musiciens de l’Ensemble Intercontemporain situés sur le plateau n’ont jamais sonné de façon aussi flatteuse depuis que j’écoute cette œuvre, c’est-à-dire une bonne douzaine de fois en tous lieux depuis sa première exécution parisienne au Théâtre de Bobigny à l’automne 1980. 


Pierre Boulez, Répons à la Philharmonie. Les deux percussionnistes et la harpiste à l'étage au centre, et une partie de l'ensemble. Photo : (c) Bruno Serrou

Si bien que je me suis mis à regretter le dispositif de la Philharmonie 2, ex-Cité de la Musique, dont l’acoustique est beaucoup plus froide est moins flatteuse que celle de la Philharmonie, mais dont la topographie permet de disposer bel et bien les six solistes autour du public.

Pierre Boulez, Répons à la Philharmonie. Photo : (c) Luc Hossepied

Les musiciens de l’Ensemble Intercontemporain jouent cette musique avec un plaisir et une aisance évidents, semblant jouir des résonances sublimes de l’écriture boulézienne mais écrasées à mes oreilles au point de former un monolithe en raison d’une spatialisation aplanie des instruments à clavier et de la virtuosité lumineuse des instruments acoustiques aux sonorités magnifiées par l’acoustique chaude et limpide de la Philharmonie et qui exaltent une sensualité inouïe sous la direction souple, claire et généreuse de Matthias Pintscher, qui s’avère en osmose totale avec la musique scintillante et lumineuse de son grand aîné, fondateur de l’ensemble dont il est désormais le directeur musical, et, comme lui, compositeur chef d’orchestre.

Matthias Pintscher. Photo : (c) Ensemble Intercontemprain

Plutôt qu’une première exécution de Répons, le Festival ManiFeste et l’Ensemble Intercontemporain ont préféré cette fois mettre en regard deux œuvres de deux cadets de Pierre Boulez, une pièce pour percussion du Suisse Michaël Jarrell (né en 1958) et une page d’orchestre de l’Allemand Helmut Lachenmann (né en 1935). La façon dont sonne la percussion soliste dans la salle de la Philharmonie est incroyable. Dans Assonance VII (1992) de Jarrell donné en présence du compositeur, Victor Hanna a suscité une symphonie de couleurs et un nuancier phénoménaux, du plus subtil pianississimo au plus puissant des fortississimi, tirant de la riche diversité de son instrumentarium (peaux, claviers, gongs, tam-tams, cymbales de toutes tailles) un feu d’artifice de sons et de timbres d’une sensualité pénétrant le corps et titillant l’ouïe de l’auditeur. Matthias Pintscher et l’Ensemble Intercontemporain ont ensuite offert une interprétation jubilatoire de l’extraordinaire Mouvement (- vor der Erstarrung) (Mouvement (- avant solidification)) pour ensemble (1982-1984) de Lachenmann, que l’EIC a créé le 12 novembre 1984 sous la direction de son directeur musical d’alors, le compositeur chef d’orchestre Péter Eötvös. La précision des attaques dans le souffle et les bruits blancs au début (construction) et à la fin (déconstruction) de l’œuvre, l’onirisme, l’élan, l’homogénéité des seize musiciens de l’EIC (flûte/piccolo, flûte en sol/piccolo, clarinette en si bémol, clarinette en si bémol/clarinette basse, clarinette basse, deux trompettes, trois percussionnistes, klingelspiel ou « piano-grenouille », deux altos, deux violoncelles, contrebasse) ont fait de cette extraordinaire partition un classique du XXe siècle. En outre, ces deux premières pièces ont été supérieurement valorisées par l’acoustique de cette superbe salle dont l’aménagement intérieur est désormais quasi achevé.

Bruno Serrou

1) L’Ensemble Intercontemporain et Matthias Pintscher reprennent Répons le 14 juin à Gashouder dans le cadre du Festival de Hollande, et le 15 août au Festival de Salzbourg. Par ailleurs, François-Xavier Roth dirige Répons au Festival de Radio France et de Montpellier Languedoc Roussillon le 22 juillet à la tête du SWR-SO de Baden-Baden und Freiburg, ainsi qu’Ulrich Pöhl à Utrecht le 8 décembre avec l’Ensemble Insomnio. 

1 commentaire:

  1. Concert à regarder sur le net:
    http://concert.arte.tv/fr/lensemble-intercontemporain-interprete-repons-de-boulez-la-philharmonie-de-paris

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