mercredi 15 avril 2015

Pianiste devenu rare en France, Jean-Bernard Pommier donne à Gaveau une magistrale intégrale des Sonates de Beethoven

Paris, Salle Gaveau, lundi 13 avril 2015


Jean-Bernard Pommier. Photo : DR

Musicien fin et discret, mettant sa sensibilité intérieure au service du seul compositeur et de son œuvre, étonnement peu présent en France, Jean-Bernard Pommier est l’un des artistes français les plus courus à l’international. Il faut dire que cet élève d’Yves Nat et de Pierre Sancan, pour le piano, ainsi que d’Eugène Bigot pour la direction d’orchestre au Conservatoire de Paris, s’est très rapidement imposé hors de l’hexagone grâce à ses victoires à 15 ans aux Concours internationaux de jeunes musiciens de Berlin et de la Guilde des Artistes Solistes Français, et en étant le plus jeune finaliste du Concours Tchaïkovski de Moscou en 1962, année où s’y sont imposés Vladimir Ashkenazy et John Ogdon, tandis qu’il se voyait remettre par le président du jury, Emil Gilels, le Premier Diplôme d’Honneur avec félicitations.

Pour ses 70 ans - il est né à Béziers le 17 août 1944 -, Jean-Bernard Pommier s’est lancé dans une nouvelle intégrale des sonates de Beethoven, qu’il a donnée d’abord à Londres et à Bruxelles avant de la reprendre à Paris, Salle Gaveau. Pommier est un familier de cet Himalaya de la littérature pianistique qu’il a enregistré à deux reprises, la dernière en 1994 rééditée en 2006, et qu’il joue partout depuis de nombreuses années. Pommier n’a pas choisi la chronologie, qu’elle soit de numéro d’ordre ou de dates, mais a obéi à des « impératifs formels et techniques »,  comme il l’a précisé à ma consœur du quotidien Le Monde, Marie-Aude Roux. Il s’agit chaque soir de faire corps avec la partition et son compositeur en mettant en relief les différentes évolutions et les subtilités harmoniques d’une sonate à une autre. Il n’en demeure pas moins que certaines soirées plongent dans un climat spécifique. Ce qui a été le cas lundi, pour le quatrième des huit volets du cycle parisien, au caractère héroïque.

Pommier a en effet inscrit à son programme cinq sonates, trois grandes dont une célèbre, entourant deux « sonates faciles », composées entre 1796 et 1805. C’est sur la première des trois Sonates op. 10, la 5e en ut mineur, qu’il a ouvert la soirée. Quoique concentrée, l’œuvre n’en compte pas moins trois mouvements de forme sonate. Réfléchi et le geste simple et sûr, le pianiste entre sans façon dans l’œuvre. Les doigts courant avec assurance et délicatesse sur le clavier dans le prolongement de mains de bucheron accrochées à des épaules larges et puissantes, il révèle dès cette première pièce un sens aigu de la narration qui émerge d’entrée par l’élan dramatique du thème principal et son écho plaintif, avant de donner à l’ensemble un tour judicieusement pathétique, sans pathos. Dans le finale, il exalte murmures et passions, jouant de l’ombre et de la lumière des sonorités de son magnifique Steinway.

Avec la Sonate n° 11 en si bémol majeur op. 22 de 1799-1800 publiée en 1802 sous le titre « Grande Sonate pour le forte-piano », c’est le premier Beethoven qui arrive à son terme. Le ton épique préfigure en effet la maturité beethovenienne, et la forme en quatre mouvements développés ne sera reprise que dans la Sonate n° 28 « Hammerklavier » op. 106 de 1817-1819. Pommier magnifie l’héroïsme conquérant de cette grande page, tirant de son piano des résonances et des timbres dignes d’un orchestre entier, les doigts jouant avec dextérité des arpèges de doubles croches et de la polyphonie dense à la main gauche, galvanisant l’intense poésie de l’Adagio, avant de donner au menuet un tour baroque pour mieux souligner le contraste avec le vaste finale où il se joue des difficultés avec une aisance saisissante.

Jean-Bernard Pommier. Photo : DR

Se lançant dans la première œuvre de la seconde partie de son récital en prenant tout juste le temps de s’asseoir, Jean-Bernard Pommier a voulu donner aux deux « Sonates faciles pour le forte-piano » de Beethoven que sont les Sonates n° 19 en sol mineur op. 49/1 et n° 20 en sol majeur op. 49/2, une totale unité, enchaînant les deux mouvements de chacune pour en faire une unique sonate en quatre mouvements, bien que ces deux œuvres probablement conçues pour des élèves aient, en dépit de leur numéro d’ordre, précédé de peu la Sonate op. 10/1 avec laquelle Pommier a débuté ce concert. Le pianiste a donné à ces sonatines la tournure classique idoine dans l’esprit de Haydn, instillant en outre à la seconde une luminosité transcendante.

C’est avec l’une des œuvres les plus fameuses de Beethoven que Jean-Bernard Pommier a conclu son programme, dont les premières volets n’ont finalement constitué qu’un vaste prélude, leurs climats préparant celui envoûtant de la dernière, la fameuse Sonate n° 23 en fa mineur op. 57 « Appassionata » de 1805-1806. De ce « torrent de feu dans un lit de granit » décrit par Romain Rolland et que Beethoven considérait comme sa plus grande sonate, à l’exception de ses cinq dernières, Jean-Bernard Pommier a admirablement mis en lumière le déchaînement des forces irréductibles, les passions primitives et les folies troubles des hommes et de la nature magnifiés par cette œuvre extraordinaire dont il a fait un véritable poème pianistique annonciateur de la Sonate en si mineur de Franz Liszt. Tout entier engagé dans son interprétation enflammée, Jean-Bernard Pommier a tétanisé l’auditeur par la puissance de son interprétation, l’aisance phénoménale de son jeu au geste coulant avec naturel et retenue, son large nuancier, son engagement de chaque instant exprimé sans ostantation, tirant de son instrument des sonorités de braise aux résonances infinies, prenant son public à bras le corps sans que ce dernier n'en prenne conscience transporté dans un ailleurs d'où il a du mal à revenir, hypnotisé par la transcendance de la conception titanesque du pianiste de cette partition visionnaire.

Les prochains volets de l’intégrale des sonates pour piano de Beethoven par Jean-Bernard Pommier résonneront dans cette même salle Gaveau les 27 mai, 4, 15 et 17 juin.

Bruno Serrou

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