mardi 21 octobre 2014

Bertrand Chamayou enlumine le concert d’ouverture de saison de l’Orchestre Régional Avignon Provence vaillamment dirigé par Samuel Jean

Avignon, Opéra Grand Avignon, vendredi 17 octobre 2014

Avignon, façade de l'Opéra. Photo : (c) Bruno Serrou

Entre Paris et Avignon, la Russie était à la fête, la semaine passée. En effet, au lendemain des deux concerts de l’Orchestre de Paris Salle Pleyel sous la direction de Guennadi Rojdestvenski et en soliste la pianiste Viktoria Postnikova dans un programme Liadov/Glazounov/Chostakovitch (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/10/lorchestre-de-paris-se-donne-la-russie.html), l’Orchestre Régional Avignon Provence proposait sous la direction de son Premier chef invité, Samuel Jean, et la participation du pianiste Bertrand Chamayou un concert Scriabine/Rachmaninov/Tchaïkovski.

Samuel Jean et l'Orchestre Régional Avignon Provence. Photo : (c) Orchestre Régional Avignon Provence

Il s’agissait pour l’ORAP du concert d’ouverture de la saison 2014-2015 qui aura réuni la foule des grands soirs dans l’enceinte de l’Opéra Grand Avignon, dont les mille deux cents fauteuils étaient chauffés à blanc par une chaleur accablante suscitée par un soleil d’été indien qui aura écrasé toute la Provence en cette belle journée de mi-octobre. Dans une acoustique particulièrement sèche, du moins l’orchestre sur le plateau et non dans la fosse où il se produit également régulièrement, cette formation au format « Mannheim » (quarante-trois musiciens) deux fois centenaire - fondé en 1814, il est l’un des plus anciens orchestres français en activité -, a attesté de sa volonté de démontrer ses qualités intrinsèques, enrichi pour cette première soirée de la saison d’une douzaine de musiciens complémentaires appelés en renfort pour un programme symphonique nécessitant habituellement plus de quatre-vingt instrumentistes. Ce sont les effectifs des cordes qui ont le plus souffert de leur nombre limité à trente-deux musiciens au lieu de soixante, particulièrement les basses, avec seulement six altos, six violoncelles et trois contrebasses, alors que bois et cuivres avaient la quantité requise. Tant et si bien que le déséquilibre a été patent, même si les pupitres d’archets ont démontré engagement et vaillance, et les instrumentistes à vent se sont avérés à leur écoute et à la recherche constante du juste équilibre. Les pupitres solistes ont démontré leurs aptitudes, particulièrement le premier cor, mais aussi bois, cuivres et timbales solistes.

Samuel Jean et l'Orchestre Régional Avignon Provence dans Rêverie d'Alexandre Scriabine. Photo : (c) Orchestre Régional Avignon Provence

Après la brève mais chaleureuse Rêverie op. 24 composée par un Alexandre Scriabine de 26 ans dont les textures soyeuses ont été soigneusement mises en exergue par Samuel Jean malgré un tapis de cordes trop peu étoffé, l’Orchestre Régional Avignon Provence a dialogué avec vigilance avec le piano ample et charnel de Bertrand Chamayou, qui se produisait pour la première fois avec la formation avignonnaise et son Premier chef invité, qui plus est dans une œuvre qu’il n’a guère eu encore l’occasion de jouer en public, le virtuose Concerto pour piano et orchestre n° 2 en ut mineur op. 18 de Serge Rachmaninov. Dès les sonneries de cloches graves égrenées au tout début par le piano seul en une série d’accords profonds allant crescendo, le public a eu le souffle coupé qui allait le maintenir en apnée près de trente-cinq minutes de rang. Jouant avec un naturel et une retenue confondante qui disent combien le jeune pianiste « en a sous le pied », comme disent les fans de course automobile, 

Bertrand Chamayou, Samuel Jean et l'Orchestre Régional Avignon Provence. Photo : (c) Orchestre Régional Avignon Provence

Bertrand Chamayou s’est engagé avec une joie non feinte dans cette œuvre populaire mais pleine de sève, véritable juge de paix qu’il a interprété avec raffinement, donnant davantage dans l’onirisme que dans le panache, ne se faisant jamais excessif, dans le pathos comme dans la virtuosité, instillant presque un tour classique à une œuvre qui incite trop souvent à la surcharge. Cette approche a été facilitée par les textures ténues de l’orchestre avignonnais, le soliste n’ayant de ce fait pas à chercher à s’imposer comme il aurait pu devoir le faire avec une phalange plus fournie. « En tant que jeune pianiste, je me dois de me produire avec les orchestres en devenir, convient Bertrand Chamayou. J’ai retrouvé ici des amis du conservatoire de Toulouse, de jeunes musiciens qui en veulent et qui s’impliquent totalement dans leur travail avec l’orchestre. Dans le cours des répétitions s’est développée une collusion dans le mouvement lent entre clarinette et flûte solos et moi. Je leur avais suggéré d’être plus solistes en les incitant à chanter comme si nous faisions de la musique de chambre. » Il s’est de fait avéré que Bertrand Chamayou a bel et bien obtenu ce qu’il voulait, avec la complicité de Samuel Jean, qui a brillamment sollicité la virtuosité de ses pupitres solistes qui n’ont pas failli bien qu’ils aient été poussés jusque dans leur retranchement.

Bertrand Chamayou. Photo : DR

Pour répondre aux sollicitations du public avignonnais, Bertrand Chamayou a donné deux longs bis, le lied Aus dem Wasser zu singen D. 774 de Franz Schubert arrangé pour piano seul par Franz Liszt, et la petite Kupelwieser Waltz tendrement mélancolique du même Schubert dont il n'existe aucune trace mais que Richard Strauss prétendait avoir sauvegardé de mémoire transmise par on ne sait qui... 

Samuel Jean et l'Orchestre Régional Avignon Provence. Photo : (c) Orchestre Régional Avignon Provence

Autre œuvre célèbre mais encore plus emplie de pathos que le concerto de Rachmaninov, la Symphonie n° 5 en mi mineur op. 64 de Piotr Ilyitch Tchaïkovski. Là, davantage que dans la première partie du programme, la minceur de l’effectif des cordes s’est avérée prégnante. Pourtant, les déséquilibres entre cordes et instruments à vent ont été diligemment contenus par Samuel Jean, qui a fait le maximum pour que les cuivres n’écrasent pas les autres pupitres tout en ne retenant pas trop leur souffle. Donnant à l’œuvre une pulsation dynamique et conquérante, tout en ménageant le caractère autobiographique et désespéré de cette symphonie « du destin » au ton de douloureuse confession qui en fait une œuvre programmatique, le jeune chef français a révélé de réelles affinités avec Tchaïkovski, dont il a allégé l’emphase sans pour autant se faire analytique ni excessivement distancié. La sécheresse de l’acoustique de l’Opéra Grand Avignon n’a pas arrangé les textures trop étriquées des cordes, et surtout du côté des basses, qui n’ont pas obtenu la rondeur et l’onctuosité nécessaire pour suggérer la profondeur abyssale du fatum dépeint par Tchaïkovski, cela dès l’introduction où les cordes s’expriment dans leur registre grave. Il convient néanmoins de saluer la solidité des pupitres solistes, de la violon solo super soliste Cordelia Palm à la timbalière Marie-Françoise Antonini, en passant par le cor solo Eric Sombret, qui a notamment exposé vaillamment la longue mélodie au noble pathétique de l’Andante, dialoguant dextrement avec le hautbois de Frédérique Costantini, auquel la clarinette mélancolique de Didier Breuque et le basson chaleureux d’Arnaud Coic n’ont rien eu à envier, tandis que trompettes et trombones ont rehaussé l’orchestre de leur éclat fortement coloré.

L'un des enregistrements de la collection de l'Orchestre Régional Avignon Provence consacrée à Sacha Guitry chez Actes Sud. Photo : DR

Ainsi, il apparaît évident que l’Orchestre Régional Avignon Provence a fait des progrès colossaux depuis les années où je l’entendais l’été venu dans le cadre du Centre Acanthes à l’époque où ce dernier était organisé dans l’enceinte de la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon où il se produisait sur l’invitation de Claude Samuel dans un répertoire exclusivement contemporain dirigé le plus souvent par Sylvio Gualda. Le travail conjointement mené par Philippe Grison, son directeur général et artistique, et Samuel Jean, son premier chef invité, portent de toute évidence leurs fruits. Ce que les mélomanes épris de découvertes peuvent d’ailleurs vérifier eux-mêmes, à défaut de se rendre en Région PACA, en se procurant (ou en écoutant) des enregistrements comme Docteur Miracle de Georges Bizet et l’Amour masqué de Sacha Guitry/André Messager (Actes Sud), Peter Pan d’Olivier Penard (Le Sablier), en attendant la parution en mai 2015 chez Naïve d’un disque réunissant des pages concertantes pour harpe et orchestre de Théodore Dubois, Gabriel Fauré, Gabriel Pierné, Henriette Renié et Camille Saint-Saëns, avec le harpiste Emmanuel Ceysson.

Bruno Serrou


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