dimanche 31 août 2014

Yuri Temirkanov, Denis Matsuev et le Philharmonique de Saint-Pétersbourg ont clôturé en fanfare la Ve édition d’Annecy Classic Festival

Annecy. Ve Annecy Classic Festival, église Sainte-Bernadette, 29 août 2014

Annecy. Annecy Classic Festival. Yuri Temerkanov. Photo : (c) Yannick Perrin

Directeur artistique de l’Annecy Classic Festival, Denis Matsuev participe chaque été aux concerts d’ouverture et de clôture de la manifestation haute-savoyarde dans une œuvre concertante pour piano et orchestre. Ainsi, dix jours après le programme inaugural dirigé par Zoltan Kocsis constitué de pages de Liszt et Dvořák (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/08/zoltan-kocsis-dirige-annecy-lorchestre.html), l’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg retrouvait le pianiste russe directeur artistique de la manifestation annecienne dans Brahms, dirigé cette fois par le directeur musical de la phalange pétersbourgeoise, Yuri Temirkanov.

Annecy. Annecy Classic Festival. Denis Matsuev (piano) devant Leo Klychkov (1er violon de l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg). Photo : (c) Yannick Perrin

Après une ouverture du Barbier de Séville de Gioacchino Rossini vive et aux bouillantes colorations, Yuri Temirkanov a lancé avec flamme la longue introduction orchestrale du Concerto n° 1 pour piano et orchestre en ré mineur op. 15 de Johannes Brahms, fruit du scrupule du compositeur allemand à se lancer à la suite de Beethoven dans la genèse d’une première symphonie qu’il ne finalisera finalement que dix-huit ans plus tard. Temirkanov a immédiatement mis en lumière les contrastes entre véhémence, tragique et détermination du thème initial et lyrisme ému du motif qui lui fait écho, ainsi que la diversité des caractères des nombreuses idées thématiques secondaires qui forment le long développement du monumental prologue orchestral. Pourtant, l’entrée de Denis Matsuev ne s’est pas faite dans la demi-teinte, le pianiste enchaînant ses sixtes d’entrée de façon impérieuse et ferme, tentant d’amblée de se détacher de l’orchestre auquel Brahms incorpore pourtant la partie piano, tandis que l’ampleur de son chant n’engendre guère la mélancolie dans l’exposition du grand thème en fa majeur repris par les instruments à vent et les cordes d’où émerge avec douceur le cor solo pétersbourgeois. Le jeu maîtrisé et virtuose de Matsuev se déploie pleinement et avec a propos dans les vigoureux traits d’octave du développement du Maestoso et les puissances secousses d’accords échangés entre le piano et l’orchestre s’épanouissant dans la rudesse fougueuse mais perdurant trop systématiquement pour que soit mis en évidence le côté ballade nordique et la rêverie qui donne continuellement un fond sombre a mouvement initial. Matsuev est passé à côté de l’inspiration spirituelle de l’Adagio au tour de cantique, contrairement à l’orchestre, qui a déployé d’ardentes couleurs dans l’exposition du thème principal où les cordes somptueuses avec sourdine puis le cor solo ont souligné le caractère recueilli du thème principal que le soliste a repris de façon trop altière avant de faire entendre la mélodie étonnamment défaite de la douleur inquiète attendue ici, avant d’introduire sur le même ton mais le rythme pourtant plus marqué du motif exposé aux bois, pour s’épanouir heureusement dans les sonorités profondes et fournies des accords et grands arpèges qui conduisent à la coda. La force conquérante de Matsuev sert en revanche dextrement le rondo final qui s’ouvre sur un thème vigoureux et dansant confié au piano que reprend l’orchestre avec allant et une homogénéité épanouie, les cascades de traits de l’instrument soliste étant sollicitées avec assurance sur les appels de cuivre. Mais la section suivante a manqué de grâce et de lyrisme, mettant davantage l’accent sur la joie et les élans chevaleresques que sur l’introspection et l’incertitude. Mais l’impression d’ensemble est restée en phase avec le ton général du finale, aux aspérités robustes qui conduisent à une conclusion en apothéose.

Annecy. Annecy Classic Festival. Denis Matsuev, Yuri Temirkanov et l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg. Photo : (c) Yannick Perrin

A l’issue de cette interprétation monumentale du premier concerto de Brahms, où le Philharmonique de Saint-Pétersbourg, sollicité l’air de rien par Yuri Temirkanov, qui en a tiré de voluptueuses couleurs associant velouté et brillant, plénitude et virtuosité assumée, Denis Matsuev a offert à un public conquis d’avance un bis paisible joué avec retenue, extrait des Saisons op. 37bis de Piotr Ilyitch Tchaïkovski, le cinquième des douze mouvements, Andantino en sol majeur consacré au mois de Mai et sous-titré Les nuits blanches dont le pianiste russe a souligné la sereine noblesse de la première partie et la fébrilité de la seconde.

Sir Edward Elgar (1857-1934) à sa table de travail. Photo : DR

Après un tour par la Russie, l’Italie et l’Allemagne, Yuri Temirkanov a conclu ses deux concerts de fin de festival sur une grande page d’orchestre venue de Grande-Bretagne. Quoique fortement marqué par la musique romantique et postromantique allemande en général et par celle de Richard Strauss en particulier, Edward Elgar est, à un degré moindre que son cadet de quinze ans Ralph Vaughan Williams, le premier artisan du renouveau de la musique anglaise quasi éteinte depuis la mort de Henry Purcell. Créées à Londres le 19 juin 1899 sous la direction d’un proche de Richard Wagner, le chef allemand Hans Richter, les Variations pour orchestre sur un thème original « Enigma » op. 35, qui se situent clairement dans l’héritage de Brahms, ont permis à leur auteur de s’imposer sur le tard - il avait alors quarante ans - sur le devant de la scène musicale britannique puis internationale. Ce titre « Enigma » tient à la fois au fait que son thème andante de dix mesures aux cordes seules est d’origine inconnue et que chacune de ses quatorze variations est dédiée à un ami ou à un parent du compositeur désigné par les seules initiales de son nom ou de son pseudonyme tandis que la partition entière l’est « à [s]es amis qui s’y trouvent portraiturés ». De durées plus ou moins longues, ces variations jouissent d’une orchestration riche et variée qui s’épanouit de page en page. La partie la plus significative de ce recueil s’ouvre sur la noble neuvième variation Adagio en mi bémol majeur intitulée Nimrod dans laquelle Elgar célèbre son ami August Johannes Jaeger, collaborateur des Editions Novello. Cet épisode ouvre une série de mouvements dont le travail thématique et orchestral va crescendo jusqu’à la douzième variation, BGN, qui portraiture un violoncelliste amateur, Basil G. Nevinson, « ami dévoué de toujours, qui précède la treizième, sous-titrée Romanza dont le séduisant solo de clarinette évoque le voyage en mer d’une belle américaine aimée d’Elgar avant l’ultime étape du recueil où le compositeur tire son propre portrait au côté de sa femme, dont il utilise pour le titre le pseudonyme Edoo et qui conclut l’œuvre sur un ton solennel. L’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg a brillé de tous ses feux, grâce à ses pupitres rutilants auxquels Temirkanov a souvent laissé la bride sur le cou pour les laisser s’épanouir à loisir, scintillant et mille feux côté instruments à vent, tandis que les cordes ont imposé leur moelleux et leur opulente sensualité.

Annecy et son lac. Photo : (c) Bruno Serrou

Pour couronner la soirée et offrir un ultime bonheur à son public qu’il retrouvera, a-t-il promis, en août 2015, Yuri Temirkanov a ajouté deux bis à son programme. Le premier également signé Edward Elgar, a été la romance Salut d’amour op. 12 (1), page pour orchestre réduit écrite en 1888 par le compositeur en offrande à sa fiancée initialement pour violon et piano et orchestrée en 1889, année de sa création au Crystal Palace de Londres. Tandis que le second bis, beaucoup plus ludique, a parachevé l’édition 2014 de l’Annecy Classic Festival sur un ton joyeux et déluré, puisqu’il s’est agi du Vivo extrait du ballet Pulcinella d’Igor Stravinski qui a permis à Temirkanov de mettre en exergue des instruments plus rarement en avant que d’autres mais qui se sont illustrés dix jours durant, le trombone et ses inénarrables glissandi, le basson et la contrebasse solos, qui ont stupéfié l’auditoire.

Annecy. Annecy Classic Festival. Pascal Escande et Denis Matsuev lançant l'édition 2015 et le Concours international de chefs d'orchestre. de l'Annecy Classic Festival. Photo : (c) Bruno Serrou

Durant la soirée de clôture qui a suivi ce dernier concert de l’édition 2014, Denis Matsuev, directeur artistique de l’Annecy Classic Festival, et Pascal Escande, son Président, ont annoncé la création en 2015 d’un nouveau Concours international de chefs d’orchestre qui se déroulera à Annecy et qui sera présidé par Yuri Temirkanov. Le vainqueur se verra confier l’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg lors du concert d’ouverture de l’Annecy Classic Festival.

Comme la plupart des concerts de l’Annecy Classic Festival, celui-ci est à écouter sur Medici-tv (www.medici.tv/#!/annecy-classic-festival) pendant les trois prochains mois.

Bruno Serrou

1) Yuri Temirkanov et l’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg ont donné cette même pièce d’Elgar en bis le soir du concert de clôture de l’édition 2013 de l’Annecy Classic Festival comme en témoigne le DVD que vient de publier Idéale Audience réalisé par Pierre-Olivier Bardet, tourné en l’église Sainte-Bernadette d’Annecy. Au programme les Concerto n° 2 pour piano et orchestre, Danses symphoniques, Etude-tableau op. 39/2 et Prélude pour piano op. 32/2 de Rachmaninov avec Denis Matsuev, le poème symphonique Shéhérazade op. 35 de Rimski-Korsakov et l’ouverture la Force du destin de Verdi (1DVD Idéaleaudience 2075068, distribution Harmonia Mundi).


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