mardi 12 août 2014

Le Quatuor Talich, en tournée en France pour ses 50 ans, a donné un concert en plein air au Festival Labeaume en Musiques

Labeaume (Ardèche), Festival Labeaume en Musiques, mercredi 30 et jeudi 31 juillet 2014

Labeaume (Ardèche). Photo : (c) Bruno Serrou

Quatuor d'archets parmi les plus brillants, le Quatuor Talich célèbre cette année son demi-siècle d’existence. Si la France l’a découvert en 1975, c’est en 1964 que Jan Talich Sr, neveu du grand chef d’orchestre Vaclav Talich qui éleva en vingt ans (1919-1939) la Philharmonie Tchèque au sommet de la hiérarchies des orchestres mondiaux, l’a porté sur les fonts baptismaux. Ayant échappé à la répression du Printemps de Prague et aux noires années qui suivirent, ce quatuor d’archets a su conserver la magie de sa sonorité tout en ne cessant d’évoluer. En cinquante ans, les Talich ont renouvelé leurs cadres, surtout depuis le départ du fondateur en 2000 remplacé par l’altiste Vladimir Bukač, entré comme second violon voilà vingt et un ans, tandis que Jan Talich Jr. succédait à Petr Messiereur, qui avait lui-même remplacé Jan Talich Sr. au poste de premier violon.

Quatuor Talich (Vladimir Bukač, Roman Patočka, Jan Talich Jr. et Petr Prause). Photo : (c) Quatuor Talich

Le Quatuor Talich et la tradition Mittle Europa

De tradition « Mittle Europa », à l’instar des Viennois, les Tchèques se sont tous attachés avec un succès qui ne s’est jamais démenti au quatuor à cordes. Avec Smetana, Dvořák, Suk, Janáček, Martinů côté création, du Quatuor Bohémien au Quatuor Talich en passant par le Quatuor Suk, le Quatuor de Prague ou le Quatuor Pražák, pour ne citer qu’eux côté ensembles, la plus riche et exigeante des formations chambristes n’a cessé d’attirer les musiciens tchèques. Les chaleureux élans du violon de Jan Talich Jr. auxquels répondent la dextérité de Roman Patočka, plus jeune des membres du Talich entré en 2012 comme second violon, le velouté de l’alto de Vladimir Bukač et la volupté du violoncelle de Petr Prause procèdent du jeu souple d’archets aériens qui instillent des sonorités épanouies et sensuelles au service d’une profonde expressivité, ce qui fait le prix des Talich qui renvoient au Quartetto Italiano (1945-1980) rayonnant dans Haydn, Mozart, Beethoven et Schubert, avec en plus cette nostalgique générosité qui s’exalte dans la musique tchèque et avec laquelle ils rehaussent Mendelssohn et Chostakovitch. « Pour assurer notre désir de continuer à jouer ensemble, nous avons besoin de vivre indépendamment les uns des autres une expérience artistique autonome, en jouant avec d’autres formations et en enseignant, convient Vladimir Bukač. Nous nous retrouvons ainsi avec plaisir, riches de nos pratiques diverses qui enrichissent celle du quatuor. Nous cherchons aussi à élargir notre répertoire en travaillant des œuvres nouvelles puisées dans le passé et en passant des commandes. »


Tournée et disques

La France, son premier pays d’adoption après la Tchéquie, a été le cadre d’une tournée estivale qui a conduit le Quatuor Talich dans dix festivals et se sera conclu à Labeaume, Prades et Pleguien, tandis que son éditeur de disques vient de publier à prix modique quelques-uns de ses plus beaux enregistrements choisis au sein d’une abondante discographie réalisée pour le label Calliope dans les années 1970-1990, mais heureusement acquis en totalité par La Dolce Volta, qui a réédité avec infiniment de soin les intégrales Mozart, Beethoven et Mendelssohn, avant de proposer cette série-anniversaire de dix CD (1), tout en réalisant de nouveaux enregistrements, puisqu’après un disque au couplage classique réunissant le quatuor de Debussy et celui de Ravel, les Talich viennent d’enregistrer deux quatuors de Dvořák.

Photo : (c) Bruno Serrou

Festival Labeaume en Musiques

C’est dans un endroit magique et majestueux planté au fin fond du département de l’Ardèche dans un village au bout d’une route en cul-de-sac sur les rives d’un affluent de l’Ardèche, la Beaume, à quelques encablures au nord de Vallon-Pont-D’arc que j’ai écouté le Quatuor Talich. Ce cadre géologique improbable fait de rivière, de grottes et d’à-pics de rochers monumentaux, constitue un ensemble de « salles » de concerts incroyable qui, selon la situation, peut recevoir de quatre-cents à trois mille spectateurs. 

Labeaume. Pont franchissant la rivière La Beaume. Photo : (c) Bruno Serrou

Aucun panneau routier ne signale pourtant cette bourgade à plus de deux kilomètres à la ronde. Il faut presque y être pour savoir que l’on touche au but. Un seul hôtel accueille le voyageur au centre du bourg à l’ombre de l’église. Un unique parking, obligatoire, déborde de véhicules d’estivants venus s’épandre sur les plages de sable et de galets d’un cirque de rochers. Le soir venu, des foules se bousculent à des soirées musicales ouvertes à tous les répertoires, du classique aux musiques du monde. 

Lieu mythique de concerts du Festival Labeaume en Musiques, à l'aplomb de la rivière La Beaume, affluent de l'Ardèche. Photo : (c) Bruno Serrou

« C’est le grand Alexandre Lagoya qui, en 1996, m’a fait découvrir ce lieu fabuleux ou les salles de concerts foisonnent à ciel ouvert, se souvient Philippe Piroud, directeur du festival Labeaume en Musiques. Ce site extraordinaire a immédiatement séduit le Bressan que je suis et j’ai tout fait pour y créer un festival, qui perdure depuis dix-sept ans. » Piroud a été littéralement ébloui par ce complexe fabuleux fait de rochers ruiniformes, de falaises vertigineuses et d’eau vive, le tout formant de véritables cathédrales de son somptueusement mises en valeur par des éclairages qui en exaltent les reliefs. Mais l’acoustique est soumise aux aléas du temps, et l’humidité l’assèche. Si bien que le concert de quatuor à cordes ne s’est pas avéré concluant, malgré la qualité de l’ensemble invité, le Quatuor Talich, qui venait à Labeaume pour la troisième fois. « Et ce ne sera pas la dernière, promet Jan Talich Jr., premier violon du groupe. Dès l’hiver prochain, nous revenons. Cette fois ce sera dans l’église Saint-Pierre-aux-liens, aux dimensions plus adaptées. »

Labeaume, église Saint-Pierre-aux-liens. Photo : (c) Bruno Serrou

Concert Les Timbres/Harmonia Lenis en l’église Saint-Pierre-aux-liens

C’est ce qu’ont démontré les ensembles baroques Les Timbres (Julien Wolfs, clavecin et orgue, Myriam Rignol, viole de gambe, et Yoko Kawakubo, violon) et Harmonia Lenis (Kenichi Mizuuchi, flûte à bec, et Akemi Murakami, clavecin) dans des madrigaux italiens. L’acoustique chaude mais un peu sèche de cette petite église s’avère en effet fort bien adapté à la musique de chambre, au point que l’on y distingue parfaitement qualités et défauts des instruments et assurément des voix. 

Répétition du concert Les Timbres/Harmonia Lenis en l'église Saint-Pierre-aux-liens. Photo : (c) Bruno Serrou

Pourtant, un concert entier d’une heure trente de flûte à bec, même enrichie d’un continuo (clavecins/orgue, viole de gambe) et d’un violon, s’est révélé pour le moins fastidieux et monochrome, le programme entier étant joué sur le même ton. Gabrieli comme Monteverdi, en passant par Castello, Cesare, Falconiero, Merula et Turini, semblant être né du même moule.

Concert du Quatuor Talich, Festival Labeaume en Musiques. Photo : (c) Bruno Serrou

Le Quatuor Talich au pied du mur

Contrairement aux musiciens de la veille, le Quatuor Talich, qui s’est produit en plein air au pied d’une impressionnante falaise dont les ombres évoquaient quelque Mount Rushmore taillé par la nature, a dû être amplifié pour se faire entendre d’un public profane mais étonnement concentré, si ce n’étaient quelques applaudissements subreptices entre deux mouvements, malgré la fraîcheur environnante et l’exigence des œuvres jouées au terme d’une longue attente. Attente suscitée par le violoncelliste, Petr Prause, arrivé avec plus d’une demi-heure de retard comblée par le second violon, Roman Patočka. Confortant sa réputation de soliste, ce dernier s’est illustré dans des pages de virtuosité qu’il a ouvertes par le Prélude de la Partita n° 3 en mi majeur BWV 1006 de Jean-Sébastien Bach auquel il a enchaîné la Ballade de la Sonate en ré mineur op. 27/3 d’Eugène Ysaÿe et une pièce de Fritz Kreisler, avant d’être rejoint par Jan Talich Jr. et Vladimir Bukač pour le Terzetto en ut majeur pour deux violons et alto op. 74 d’Antonín Dvořák, malheureusement interrompu par l’arrivée pourtant largement espérée de Petr Prause.

Roman Patočka. Photo : (c) Bruno Serrou

Difficile ensuite de juger du concert en tant que tel qui associait compositeurs russe, tchèque et français. Le froid et l’humidité se sont en effet mis dans la partie, tandis que le violoncelliste n’avait pas eu le temps de s’échauffer avant de se lancer avec ses partenaires bouillants d’impatience dans le Quatuor à cordes n° 8 en ut mineur op. 110 de Dimitri Chostakovitch. En outre, la sonorisation n’a rien arrangé, affectant les sonorités chaudes et moelleuses de l’ensemble et la flamboyante sensualité du premier violon. Ce qui s’est avéré plus sensible encore dans le lumineux et nostalgique Quatuor n° 12 en fa majeur « Américain » op. 96 d’Antonín Dvořák que dans l’âpre huitième quatuor de Chostakovitch. Le Quatuor à cordes en fa majeur de Maurice Ravel s’est fait moins voluptueux que dans l’interprétation du Fine Arts Quartet entendue le 24 juillet au Festival des Arcs (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/07/le-festival-des-arcs-ou-la-musique-de.html), les sonorités étant peu épanouies et charnelles, écrasées par l’amplification, aussi légère fut-elle, tandis que les interprètes laissaient percer quelques signes d’irritation et de fatigue. Ce qui ne les a pas empêchés de reprendre en bis le finale du Quatuor « Américain » de Dvořák devant un public ravi mais frigorifié.

Labeaume. Sculptures brutes. Photo : (c) Bruno Serrou

Le matin du concert Talich, un lieu plus intimiste, la chapelle de Chapias, a été le cadre d’un récital de clavicorde à quatre mains offert par Marie-Anne Dachy et Julien Wolfs. Mais Labeaume en Musiques ne se limite pas au festival d’été, qui se termine le 15 août. L’implantation locale est en effet l’un des principes fondateurs de la manifestation, qui propose des « quartiers d’hiver » pour les Ardéchois. C’est d’ailleurs dans ce cadre que le Quatuor Talich devrait se produire en mars 2015... 

Bruno Serrou

1) Dix coffrets La Dolce Volta (distribution Harmonia Mundi) : Beethoven (Quatuors à cordes op. 130 et 133), Brahms (Sextuors à cordes), Chostakovitch (Quatuor à cordes n° 8, Quintette avec piano op. 57), Dvořák  (Quatuor à cordes « Américain » op. 96, Quintette à cordes op. 97), Smetana / Fibich (trois quatuors à cordes), Janáček / Schulhoff (trois quatuors à cordes), Haydn (les Sept dernières Paroles du Christ sur la Croix), Kalliwoda (trois quatuors à cordes), Mendelssohn (intégrale des quatuors à cordes), Mozart (Quatuors à cordes KV. 136 à 138, 525 et 546)


Ce compte-rendu se fonde en partie sur deux de mes articles parus les 4 août 2014, pour le premier, et 12 août 2014, pour le second, dans le quotidien La Croix

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire