vendredi 4 avril 2014

Le magicien Radu Lupu enchante une soirée où l’Orchestre de Paris et Paavo Järvi ont séduit par la beauté plastique de leur interprétation mais suscité des réserves dans leur conception de la Symphonie n° 4 de Mahler

Paris, Salle Pleyel, jeudi 3 avril 2014

Radu Lupu. Photo : (c) Orchestre de Paris

Concerto de rêve hier, Salle Pleyel, offert par un Radu Lupu incroyable d’aisance et de facilité qui a réussi à éblouir dans une œuvre tellement jouée qu’il nous semble la connaître par cœur. Rien qu’à l’Orchestre de Paris, il a été programmé une vingtaine de fois en quarante-trois ans, dont deux avec Radu Lupu. Le Concerto pour piano et orchestre n° 1 en ut majeur op. 15 de Beethoven est, il est vrai, de ces œuvres dont on ne se lasse pas et qui permettent des approches sans cesse renouvelées. Pour son troisième essai, le pianiste roumain a médusé le public de Pleyel. Installé le dos profondément calé contre le dossier de sa chaise, les bras tendus loin du cor sur le clavier, l’air de ne pas y toucher, les doigts voltigeant sur les touches, le pianiste roumain est comme en apesanteur. Il ne joue pas, il est la musique-même. Le regard voyage vers les notes à atteindre d’un air détaché, va et vient entre les instruments solistes de l’orchestre avec lesquels il dialogue, comme le somptueux chant de la clarinette dextrement tenue par Pascal Moraguès, le chef et le piano. Extraordinairement maître de lui, Lupu n’a jamais la tête dans le clavier, son toucher est immatériel, le jeu d’une agilité déconcertante est comme détaché de toute technique pianistique, et il en émane un son façonné par un prestidigitateur. A côté, les autres pianistes sont comme des tâcherons qui mettent les mains dans le cambouis. 

Paavo Järvi et Radu Lupu dans les coulisses de la Salle Pleyel. Photo : (c) Orchestre de Paris

Après une onctueuse introduction, l’Orchestre de Paris et Paavo Järvi ont tissé un beau velours à Radu Lupu, après que les cordes se soient échauffées dans le Langsamer Satz (Mouvement lent) pour quatuor à cordes d’Anton Webern arrangé sans génie par le chef américain Gerard Schwarz. En bis, Lupu a retrouvé son cher Robert Schumann, en donnant un virevoltant Oiseau prophète, septième des Waldszenen op. 82.

Gustav Mahler en 1906. Photo : DR

En seconde partie, Paavo Järvi a offert une Symphonie n° 4 en sol majeur (1899-1901) de Gustav Mahler fine, chatoyante, fort bien structurée, l’Orchestre de Paris exaltant des sonorités moelleuses et fruitées (un remarquable Roland Daugareil dans ses multiples solos que la partition lui réserve, notamment dans le deuxième mouvement où son jeu était bien dans l’esprit du violoneux voulu par Mahler, un brillant André Cazalet au cor solo, un infaillible Frédéric Mellardi à la trompette, un enthousiaste Giorgio Mandolesi au basson), dirigée avec un sens du détail d’une grande acuité au service de la globalité du discours. Comme s’il voulait goûter à satiété les qualités de la phalange dont il est le patron, Järvi a excessivement réfréné les tempi dans les deux mouvements initiaux, surtout dans le deuxième, qui atteint la même durée que le premier, au point que les deux associés ont dépassé la demi-heure, tandis que l’ensemble de la symphonie a dépassé l’heure au lieu des cinquante-quatre minutes prévues. En revanche, le Ruhevoll est apparu de toute beauté, expressif et objectif à la fois, là où tant de chefs se font empesés et larmoyants, ce qui n’a pas empêché l’angoisse et le trouble de poindre, tandis que les cuivres ont instauré un sentiment d’ivresse qui a saisi d’effroi. Le finale a la chaleur, la grâce et la sérénité du paradis chanté avec une simplicité par la mezzo-soprano suédoise Katija Dragojevic dont la voix est cependant apparue trop charnue pour une partie écrite pour une soprano au timbre désincarné.


Bruno Serrou

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