mardi 4 février 2014

Mort d’un défricheur de grand talent, le chef allemand Gerd Albrecht

Gerd Albrecht (1935-2014).Photo : DR

Le chef d’orchestre allemand Gerd Albrecht est mort à Berlin dimanche 2 février à l’âge de 78 ans des suites d’une longue maladie. Célébré par les discophiles pour ses enregistrements d’œuvres rares, ce fin connaisseur du répertoire tchèque et ardent défenseur de la musique contemporaine a commencé sa carrière dans la fosse des théâtres lyriques allemands. A 27 ans, il devient à Lübeck le plus jeune Generaldirektor d’Allemagne. Suivront la Deutsche Oper de Berlin (1972-1976), l’Orchestre de la Tonhalle de Zürich (1975-1980). De 1988 à 1997, il cumule les fonctions de chef d’orchestre et de directeur de l’Opéra à Hambourg.

Né le 19 juillet 1935 à Essen, fils du musicologue Hans Albrecht, Gerd Albrecht remporte en 1957 le Premier Prix du Concours de Chefs d’orchestre de Besançon, ville où il sera nommé en 2012 directeur musical du Festival international de Musique et président du jury du Concours de chefs d’orchestre organisé en 2013.

En 1991, Gerd Albrecht devient directeur musical de la prestigieuse Philharmonie tchèque dont il devient est le premier chef titulaire étranger. Après deux ans de crises et de polémiques au sein de la phalange centenaire, et de cabales politiques et nationalistes à Prague sur fond de tension dans les relations tchéco-allemandes, à propos notamment des Sudètes, Albrecht démissionne en février 1996, un mois après le concert du centenaire de l’orchestre. Il faut dire que le chef n’a pas cherché à arranger les relations avec le gouvernement tchèque en refusant de participer à un concert au Vatican lors de l’établissement des relations diplomatiques entre le Saint-Siège et l’Etat d’Israël, ce qui froissa profondément le président Vaclav Havel. Albrecht envenima les choses en déclarant dans la presse allemande qu’il était le « bouc-émissaire de trois siècles de domination des Habsbourg en Bohême, de l’occupation nazie et de la participation de la RDA à la répression du printemps de Prague en 1968 ». Pourtant, en 2004, il retrouvait la Philharmonie tchèque dans le cadre du Festival de Salzbourg, avant de l’emmener en tournée en Amérique du Sud en 2006. De 1997 à 2007, il est premier chef d’orchestre du Yomiuri Nippon Symphony Orchestra et, de 2000 à 2004, de l’Orchestre Symphonique de la Radio danoise à Copenhague.

Gerd Albrecht était un fervent défenseur de la musique contemporaine, dirigeant de nombreuses créations, parmi lesquelles des œuvres de Harrison Birtwistle à Alfred Schnittke en passant par Sofia Gubaïdulina, Hans Werner Henze, Helmut Lachenmann, Aribert Reimann, Wolfgang Rihm, et, surtout, Krzysztof Penderecki et György Ligeti. Il a notamment créé plusieurs opéras majeurs du dernier demi-siècle, comme Lear de Reimann, La conquête du Mexique de Rihm et La petite fille aux allumettes de Lachenmann. Il s’est également attaché aux oubliés de l’histoire, comme Viktor Ullmann, disparu à Auschwitz, Louis Spohr, Zdeněk Fibich, Ferruccio Busoni, Franz Schreker, Alexandre Zemlinsky, Erwin Schulhoff, Ernst Krenek, Paul Hindemith.

Il a également été un fervent et fin vulgarisateur de la musique classique auprès des jeunes, ouvrant un musée du son à Hambourg, écrivant plusieurs livres pour les enfants, participant à plus d’une cinquantaine de films pour la télévision et initiant divers supports sonores destinés aux jeunes auditoires. Il avait aussi lancé un bus musical pour diffuser la musique dans les écoles allemandes. En 1989, il a créé la Fondation pour les jeunesses musicales de Hambourg (Hamburger Jugendmusikstiftung) dont le but était la promotion de jeunes musiciens.

Parmi sa riche discographie, retenons les Concertos pour piano et pour violoncelle de Schumann avec Bruno Leonardo Gelber et Jacqueline Du Pré (Audite), Karl V de Krenek (Orfeo), les Symphonies n° 1 et n° 2 d’Ullmann (Glossa), Gogo No Eiko de Henze (Orfeo), Meurtre, espoir des femmes, Cardillac, Sancta Susanna et Mathis le Peintre de Hindemith (Wergo), la Symphonie n° 3 de Fibich (Orfeo), Lear (DG) et le Requiem (EMI) de Reimann, Armida, le Diable et Catherine et Svata Ludmilla de Dvorak (Orfeo), le Triptyque de Puccini (Orfeo), Jessonda de Spohr (Orfeo), Olympia de Spontini (Orfeo), Inns Offene de Rihm (Col legno), Turandot et Arlecchino de Busoni (Capriccio), la Symphonie n° 7 de Pettersson (Cpo), Massimilla Doni et Panthelisea de Schoeck (Koch-Schwann), Le Corregidor de Wolf (Koch-Schwann), le Roi Candaule, la Symphonische Gesang et Der Traumgorge de Zemlinsky (Capriccio), Der ferne Klang, Der Schatzgraber et Die Gezeichneten de Schreker (Capriccio), les Concertos pour violon de Mendelssohn-Bartholdy avec Frank Peter Zimmermann (EMI), Wozzeck et Die Soldaten de Gurlitt (Capriccio)…


Bruno Serrou

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