vendredi 18 octobre 2013

159 ans après sa dernière apparition à Paris, "la Vestale" de Spontini ne convainc pas vraiment à son retour Théâtre des Champs-Elysées

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, mardi 15 octobre 2013

Gaspare Spontini, la Vestale. Ermonela Jaho (Julia). Photo : (c) Vincent Pontet, Théâtre des Champs-Elysées

Premier spectacle scénique du Théâtre des Champs-Elysées de la saison 2013-2014, la Vestale de Gaspare Spontini (1774-1851) n’avait pas été donné à Paris depuis 159 ans. Pourtant, si le nom de son auteur reste ancré dans l’histoire de la musique, il le doit à ce seul ouvrage, qui reçut en son temps un succès foudroyant, et fut redécouvert par le biais de Maria Callas, pour qui l’ouvrage avait été remonté en italien en 1954 à la Scala de Milan dans une mise en scène de Luchino Visconti, avant d’être incarnée par des Régine Crespin, Renato Scotto et autre Montserrat Caballé. Programmée dans sa version française originale rétablie dans une édition critique publiée en 1993, sa réapparition au Théâtre des Champs-Elysées aura suscité attente et espoir.

Gaspare Spontini, la Vestale. Ermonela Jaho (Julia) et le Choeur Aedes. Photo : (c) Vincent Pontet, Théâtre des Champs-Elysées

L’œuvre elle-même déçoit. Cette tragédie lyrique en trois actes sur un livret d’Etienne de Jouy qui, reprenant le concept de Gluck, inaugurait pourtant en son temps un style nouveau, le grand opéra français avec ballets, scènes d’apothéose, invocations divines, grands chœurs, etc., appelé à faire florès avec Rossini, Meyerbeer et jusqu’à Saint-Saëns, a fait fureur dans l’Europe entière avant de tomber peu à peu dans l’oubli. Donnée en français, italien, suédois et allemand, l’œuvre a été célébrée par Berlioz et Wagner, qui l’a dirigée, notamment à Dresde, et à qui Spontini déclara sans humilité que « depuis la Vestale, il n’est pas une note qui ne fût volée à mes partitions ». Spontini, âgé de 33 ans lorsqu’il composa cet ouvrage, entendait y fusionner le bel canto italien et la déclamation à la française. Napoléon Ier en a été le premier spectateur lors d’une représentation privée en avant-première, Spontini étant à ce moment-là Compositeur de la chambre de l’impératrice Joséphine depuis 1805. Aigles, sceptres, soldats et marche triomphale de Lucinius de la Vestale font d’ailleurs référence à la symbolique impériale instaurée par l’ex-premier Consul de la Première République française. L’ouvrage sera créé à l’Opéra de Paris le 15 décembre 1807 avec un tel triomphe, atteignant près de cent représentations consécutives, que son auteur devint sur le champ le compositeur officiel du Ier Empire.

Gaspare Spontini, la Vestale. Ermonela Jaho (Julia), Andrew Richards (Licinius). Photo : (c) Vincent Pontet, Théâtre des Champs-Elysées

L’action, qui a pour cadre la Rome de 269 avant Jésus-Christ, c’est-à-dire celle de la République, conte l’histoire de la jeune Julia devenue malgré elle l’une des sept prêtresses de la déesse Vesta (1). Le hasard veut que lui revienne le soin de déposer la couronne de lauriers des vainqueurs sur la tête de son bien-aimé Licinius. Ce dernier lui déclare son intention de la kidnapper. Dans le temple de Vesta, Julia garde la flamme et prie pour être libérés de la tentation éternelle. Licinius arrive, lors de leur réconciliation enthousiaste, la flamme arrive à expiration. Licinius est conseillé par Cinna de fuir. Julia est interrogée par le Grand Prêtre, mais elle refuse de nommer Lucinius ni même le connaître, y compris lorsque ce dernier admet son intrusion dans le temple. Elle est condamnée à mort pour le libertinage. Un orage s’ensuit au cours duquel la foudre ravive la flamme sacrée. Y voyant un signe des dieux, le Grand Prêtre et la Grande Vestale libèrent Julia qui peut épouser Licinius. Une happy-end tirée par les cheveux, quand on connaît le sort tragique qui attendait les vestales et leurs amants. Quant à la partition, sans être clairement porteuse de l’avenir qu’y voyaient ses contemporains, particulièrement Berlioz et Wagner, elle est animée d'un certain souffle narratif, tandis que l’écriture vocale se situe dans la ligne des opéras seria de Cherubini et de Rossini, bien plus originaux que Spontini.

Gaspare Spontini, la Vestale. Ermonela Jaho (Julia) et les vestales. Photo : (c) Vincent Pontet, Théâtre des Champs-Elysées

Dans un espace nu fermé dans le fond par une grille façon couvent de carmélites où sont disposés des bancs de bois clair et un praticable circulaire symbolisant un autel sur lequel sera posée par la suite une citerne-tombeau conçus par Emmanuel Clolus et éclairés de lumières crues par Philippe Berthomé, la mise en scène en noir et blanc d’Eric Lacascade s’avère apathique et sans originalité, la direction d’acteur contrainte, à l’exception du personnage de Julia, il est vrai campée par une Ermonela Jaho. Malgré une voix au timbre juvénile et aux harmoniques limitées loin des grandes cantatrices qui se sont illustrées dans ce rôle, la soprano albanaise brosse une héroïne spontanée et touchante à la vocalité éclatante. Autre satisfaction, Konstantin Gorny, qui campe un Grand Prêtre impressionnant, tant côté vocal que prestance. Andrew Richards (Licinius) et Jean-François Borras (Cinna) - qui se voit affublé de mouvements incongrus qu’il a l’ouverture d’esprit de reprendre lors des saluts - forment un duo d’amis d’une totale homogénéité vocale et physique. Déception en revanche avec la Grande Vestale de Béatrice Uria-Monzon, dont la voix est devenue plus instable que jamais. Le chœur Aedes complète la distribution avec bonheur.

Gaspare Spontini, la Vestale. Konstatin Gorny (le Grand Prêtre), Andrew Richards (Licinius), Ermonela Jaho (Julia), Jean-François Borras (Cinna), Béatrice Uria-Monzon (la Grande Vestale). Photo : (c) Vincent Pontet, Théâtre des Champs-Elysées

Dans la fosse, Jérémie Rohrer dirige l’œuvre avec conviction et fermeté, au point de presser les interprètes, instrumentistes et chanteurs, et de contraindre le lyrisme au profit du tragique. Ce qui a également suscité des approximations de la part de son orchestre, Le Cercle de l’Harmonie, particulièrement des cuivres, naturels il est vrai, et un premier violon manquant singulièrement d’assurance.  

Bruno Serrou


1) Il est à noter que, au nombre de quatre à sept, les vestales étaient recrutées parmi des jeunes filles de 6 à 10 ans nées de parents libres et vivants. Elles devaient vouer trente années de leur existence au service de la déesse Vesta dans la chasteté, symbole de la pureté du feu. 

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