jeudi 11 avril 2013

Marc Monnet : De la pauvreté de la pensée aujourd'hui



Marc Monnet. Photo : (c) Albertine Monnet

Directeur artistique depuis dix ans du Printemps des Arts de Monaco, où il est fort apprécié par la famille princière, proche de Mauricio Kagel dont il fut l’élève à Cologne, Marc Monnet est un compositeur hors normes réputé iconoclaste dans le paysage musical français. Homme de vaste culture, d’une avenante cordialité et à l’humour corrosif, il programme son festival comme il compose, avec une constante créativité qui touche et convainc un large public tout en bousculant habitudes et certitudes - institutions et médias de l’audiovisuel feraient bien de s’en inspirer pour aider la musique à la reconquête d’une audience perdue à cause de producteurs trop mondains et condescendants. Sachant donc fort bien que la musique contemporaine la plus créative et le grand public s'entendent parfaitement à condition de pédagogie et de mise en perspective pensées et soignées, Marc Monnet met ici en regard les propos de Jérôme Ducros et la lettre de Pascal Dusapin, cette dernière ayant été reproduite hier sur ce site (http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/04/lettre-de-pascal-dusapin-au-directeur.html).

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Monaco, mercredi 10 avril 2013 

Il me semble être revenu au temps de l'Ars antiqua et de l'Ars nova. Cette dualité entre les partisans de l'art qui serait l'art "idéal" et "valable" est toujours d'actualité. Nous avons eu Giovanni Artusi et Claudio Monterverdi, l'opéra français et l'opéra italien, etc... Ne vous souvenez vous pas des gravures montrant la charge à cheval de la police parisienne contre les manifestants anti Wagner place de l'Opéra à Paris ?..

Je crois que la création a toujours dérangé le cours acquis des valeurs. Ce pourrait être d'ailleurs une définition de l'art...

Il est certain que Carl Orff dans les temps plus récents, représente cet art du retour, cet art que les idéologies totalitaires désirent, le retour au dogme rassurant pour une société lisse et docile.

L'atonalisme a commencé depuis longtemps, c’est une vieille histoire ! Opposer atonalisme à tonalisme est presque un discours de vieux ! Mais on oublie au passage Franz Liszt, Richard Wagner, Claude Debussy pourfendeurs du tonalisme !

Mais ce n’est pas grave, quand on ne comprend pas que l'art est un mouvement perpétuel, on accuse la modernité comme danger moral et comme atteinte à la perception du plus grand nombre. Quelle ignorance, quelle lecture tronquée de l’histoire !

Toute l'histoire de l'art nous l'explique, que ce soit dans les arts plastiques ou la musique, mais aussi dans la littérature ! On enferme Sade, on censure Baudelaire, sans parler de Céline, qui, malgré ses propos et écrits antisémites, reste un révolutionnaire de la langue, car en art il n'y a pas de raison, il n’y a pas l’ordre acquis mais aussi le désordre !

Alors, les propos de Ducros ou d'un autre, relatant sa difficulté d'être avec l'art en mouvement, fait partie de cette majorité qui s'associe au populisme le plus éculé et le plus reconnaissable qui n’est aucunement nouveau.

Comment généraliser un tel propos ? Le débat d'idée doit être, y compris dans ces contradictions, mais là nous sommes dans l'affirmatif aveugle, preuve d'une incompréhension des œuvres, ne serait-ce celles du passé comme les Variations Diabelli de Beethoven. Préférerions-nous les Variations Diabelli de Czerny, de Graf von Dietrichstein ou de l'Abbé Maximilien Stadler ? Si nous reportions ce débat à cette époque-là, je suppose que le pauvre Beethoven serait le pourfendeur du classicisme et traité d’atonaliste !

Mais le chemin pour comprendre l'art est un chemin initiatique qui n'est pas forcément donné à tout le monde ! J'ai le sentiment que Ducros est dans l'idéologie plus que dans la compréhension d'un monde qui visiblement lui échappe. Il répète ce que l’histoire pourtant nous a si souvent donné à comprendre, que ce n’est pas en pourfendant la modernité que l’on est dans la vérité, comme ceux qui peuvent croire naïvement que faire moderne c’est être dans la modernité ! Non, la situation est beaucoup plus complexe et ne peut être réduite à ce dualisme que je me permettrai de nommer d’idiot.

Marc Monnet 

1 commentaire:

  1. Pourfendeurs du tonalisme, me semble être un qualificatif un peu fort pour le trio Liszt/Wagner/Debussy chez qui la tentative atonaliste ressemblait plus à l’expérience de laboratoire compositionnel, plutôt qu’à un véritable cheval de bataille artistique. Quand bien même, ces tentatives atonales sont sans communes mesures avec celles que l’on rencontrera chez un autre trio bien connue : les viennois.
    Si l’on prend pour exemple l’œuvre que l’on considère comme la première œuvre atonale : la bagatelle sans tonalité de Liszt, qu’y trouve t’on ? Essentiellement des 7èmes non résolues, une insistance sur le triton, tout le reste du langage est emprunté à la tonalité. Difficile donc de parler d’un véritable esprit de pourfendeur.

    On oublie que les riches et belles heures de la musique contemporaine pouvaient se justifier dans un temps où l’étau autoritaire ne s’était pas encore desserré, mais aujourd’hui ?

    Alors, certes, en art il n’y a pas que l’ordre mais aussi le désordre, toujours est-il que vos exemples me paraissent bien mal choisis. Céline, Sade et Baudelaire en totem de la modernité ? L’écriture musicale, qu’elle soit atonale, spectrale, algorithmique, dodécaphonique, se rapproche à mon avis d’avantage de Finnegan’s Wake, que de Voyage au bout de la nuit.

    J’observe également que vous ne nous épargnez pas l’argument en faveur de la musique contemporaine le plus éculé qui soit « Beethoven aussi, à l’époque était considéré comme un moderne ».
    Je vous invite à lire l’article de Jérôme Ducros :le néo, l’impasse et le moderne qui semble répondre parfaitement à votre article.

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