lundi 26 novembre 2012

L’étourdissant Chapeau de paille d’Italie de Nino Rota signé Patrice Caurier et Moshe Leiser pour Angers Nantes Opéra



Nantes, Théâtre Graslin, dimanche 25 novembre 2012
Nino Rota, Le chapeau de paille d'Italie. Au centre, Elena Zilio (la Baronne), à droite, Philippe Talbot (Fadinard) et Hendrickje Van Kerckhove (Elena). Photo : (c) Jef Rabillon/Angers Nantes Opéra 

Nino Rota (1911-1979), le compositeur fétiche de Federico Fellini (1) et Luchino Visconti, également célèbre pour les musiques de film des deux premiers volets de la trilogie le Parrain de Francis Ford Coppola - il aura signé plus de 150 musiques de films entre 1930 et 1979 - était aussi l’auteur de partitions de musique instrumentale (symphonique, concertante, chambriste et soliste), chorale et lyrique, avec dix opéras, cinq ballets et des musiques de scène. Il enseigna également la composition au Liceo Musicale de Bari qu’il dirigea plus de trente ans. La spontanéité et le foisonnement mélodique de sa musique en ont fait la cible de ses confrères qui l’ont cantonné avec plus ou moins de mépris à l’état de compositeur pour le cinéma. Il avait pourtant reçu sa formation à l’Académie Sainte-Cécile de Rome auprès d’Ildebrando Pizzetti et d’Alfredo Casella, puis au Curtis Institute de Philadelphie, où il étudia la direction d’orchestre avec Fritz Reiner et la composition avec Rosario Scalero. C’est aux Etats-Unis qu’il s’est forgé son affinité pour la chanson populaire américaine qu’il allait intégrer à sa propre création. Après la Seconde Guerre mondiale, le cinéma italien recherchait une nouvelle assise artistique, au moment même où Rota cherchait à façonner son propre style au sein des diverses écoles de la seconde moitié du XXe siècle. 


Eugène Labiche par Nadar

C’est à cette époque qu’il découvre la comédie française en cinq actes le Chapeau de paille d’Italie d’Eugène Labiche (1815-1888) et Marc-Michel (1812-1868) qui avait été créée à Paris au Théâtre du Palais-Royal le 14 août 1851. Attiré par le sujet, Rota conçoit rapidement une musique dans un style pérennisant la tradition de l’opéra bouffe italien, tandis qu’il élaborait le livret avec sa mère, Ernesta Rota. Rota commença à travailler dans le secret sur cette œuvre volontairement non-moderne. Malgré les encouragements de ses amis à qui il jouait de temps à autres des extraits de son opéra, Rota attendra dix ans avant d’accepter d’en confier la création au Teatro Massimo de Palerme, en Sicile, sous le titre I Cappello di paglia di Firenze (le Chapeau de paille de Florence). L’œuvre est rarement à l’affiche en France, où elle n’a pas été donnée à la scène depuis les années 1990, à Lyon par l’Atelier lyrique de l’Opéra de Lyon dirigé par Claire Gibault. 




Nino Rota (1911-1979). Photo : DR


Parce que le matin de ses noces avec Elena, au beau milieu d’une ballade dans le bois de Vincennes, son cheval déguste un appétissant chapeau de paille attaché à une branche par une jeune-femme, Anaide alors en rendez-vous galant avec le lieutenant Emilio, le rentier Fadinard, que les amants suivent jusque chez lui pour lui réclamer réparation, se lance sous leur menace à la recherche d’un couvre-chef de substitution identique au premier, car le mari de la dame, Beaupertuis, qui s’est barricadé chez lui est violent et jaloux. Pour ne pas éveiller les soupçons de son beau-père Nonancourt, qui survient avec toute la noce, il entraîne celle-ci dans sa quête folle qui le conduit chez une modiste, qui l’envoie chez une baronne, qui l’envoie chez le mari de l’épouse volage. Une suite de quiproquos lui fait achever sa course devant chez lui, où la police finit par embarquer tout le monde pour tapage nocturne…

 Nino Rota, Le chapeau de paille d'Italie. De gauche à droite, Beau Palmer (Oncle Vézinet), Philippe Talbot (Fadinard), Peter Kalman (Nonancourt) et Hendrickje Van Kerckhove (Elena). Photo : (c) Jef Rabillon/Angers Nantes Opéra 

La production d’Angers-Nantes Opéra est malicieuse et réjouissante. Conformément au livret de Rota, qui a découpé son vaudeville lyrique tel un film, la course folle de cette noce délirante suscite des changements de décors pourtant apparemment encombrants conçus par Christian Fenouillat réglés au cordeau par l’équipe des techniciens de l’Opéra nantais. Tout ce petit monde de la bourgeoisie Parisienne IIe République burlesquement reconstitué – Agostino Cavalca accoutrant les femmes de robes à arceaux, corsets comprimés et chapeaux à fleurs seyants, et les hommes à l’embonpoint saillant vêtus de complets à queue-de-pie, tout le monde étant pourvu de grands nez rouges - est magistralement animé par Patrice Caurier et Moshe Leiser, qui, fidèles à eux-mêmes, signent une mise en scène à la fois respectueuse des intentions de l’auteur et d’une frénétique vivacité, à la façon du cinéma muet. Ils transcendent cette cavalcade nuptiale dont la musique n’a d’autre ambition que l’efficacité dramatique truffée de citations et de renvois à l’histoire de l’opéra bouffe italien, principalement Rossini et Donizetti, voire Puccini, pour en faire du théâtre véritable. Les duettistes français de la mise en scène sont aidés par une distribution impeccable, menée par l’infatigable Fadinard du ténor français Philippe Talbot. A ses côtés, le tonitruant Nonencourt du baryton hongrois Peter Kalman, le lieutenant falot du baryton français Boris Grappe, l’énorme Beaupertuis du baryton autrichien Claudio Otelli, l’oncle Vézinet zélé et gaffeur du ténor américain Beau Palmer. Côté féminin, la distribution n’est pas en reste, avec la charmante Elena de la soprano belge Hendrickje Van Kerchhove, tandis que la soprano polonaise Elzbieta Szmytka, de sa voix puissante et charnelle, campe à la fois une veule Anaïde une modiste vindicative. Mais c’est la mezzo-soprano italienne Elena Zilio qui convainc le plus, campant de sa voix charnue et timbre de bronze une Baronne imprévisible. Malgré des décalages, le chœur participe vaillamment à la réussite du spectacle, ainsi que l’Orchestre National des Pays de la Loire, que vient de rejoindre Julien Szulman au poste de premier violon solo, brillamment dirigé par Giuseppe Grazioli, qui défend partout la musique de son compatriote Nino Rota.

Bruno Serrou

1) Federico Fellini disait de Nino Rota, peu après la mort du compositeur : « Il possédait la qualité rare d’appartenir au monde de l’intuition. Comme les enfants, les personnes simples, sensibles, innocentes, il pouvait dire soudainement des choses éblouissantes. Sitôt qu’il arrivait, les tensions disparaissaient, tout se métamorphosait en ambiance festive ; le film entrait dans une nouvelle vie, une fantastique période de joie et de sérénité. »

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