mercredi 20 juin 2012

La leçon de musique des Wiener Philharmoniker dirigés par Sir Simon Rattle, patron des Berliner Philharmoniker


Paris, Théâtre des Champs-Elysées, mardi 19 juin 2012 
 Photo : DR
Fidèle invité du Théâtre des Champs-Elysées, l’Orchestre Philharmonique de Vienne, qui n’a pas de directeur musical mais qui aime à se produire avec la fine fleur de chefs avec qui il entretient des relations privilégiées, était dirigé hier soir par le patron du seul orchestre au monde qui lui soit comparable dans les hautes sphères des formations symphoniques, l’Orchestre Philharmonique de Berlin, dont la réputation est si forte qu’ils sont tout deux connus même du profane, Sir Simon Rattle. La coïncidence (mais en était-ce une ?) a voulu que le programme proposé soit placé sous le signe du nombre 3, chiffre premier impair, fondamental et incarnation de la Trinité : les Troisièmes Symphonies de Johannes Brahms et de Robert Schumann, l’une portant le numéro d’opus 90 (3x3x10), l’autre le rang d’opus 97 (3x3 et 7 – 7, chiffre mystique par excellence) entouraient les Six Pièces op. 6 (deux fois trois) d’Anton Webern.
Les Wiener Philharmoniker étaient disposés selon la répartition la plus fréquemment utilisée avant la Seconde Guerre mondiale, violons I et II se faisant face sur le plateau, altos à côté des premiers violons, les violoncelles à droite des seconds, et les contrebasses derrière les violoncelles, a côté des hautbois, bassons et cors. Le « son » de l’orchestre est toujours aussi raffiné, soyeux et coloré, avec une prépondérance du spectre grave, une sonorité unique et facilement identifiable qui était hier au rendez-vous, attisée par la direction souple et élancée de Simon Rattle. Ce dernier semblait jouir de la malléabilité du jeu et du son des Viennois, apparemment réjoui de se retrouver devant la phalange autrichienne fort différente d’esprit et de couleurs de celle dont il est titulaire, le Philharmonique de Berlin, plus discipliné, précis et concentré. Plaisir du son, sensuel et charnel, couleurs polychromes, moins rigoureux et sombre que Berlin, mais au contraire plus brillant et lumineux, exaltant une liberté de jeu et de ton qui transcende l’homogénéité et le fondu sonore des Berlinois et qui donne aux Viennois leur spécificité unique qui le rend si précieux et qui a inspiré tant de compositeurs depuis le milieux du XIXe siècle. Rattle laisse l’orchestre respirer, donnant peu d’indications aux musiciens mais les poussant à chanter avec des gestes larges et des regards respirant le bonheur. D’où une élasticité du discours qui n’a d’égale que celle des textures.
Ainsi, la Symphonie n° 3 en fa majeur op. 90 de Brahms qui occupait entièrement la première partie du concert s’est avérée prodigieuse de rythmes et de danses, d’une sensualité respirant la félicité et la grâce à pleins poumons, l’Orchestre sonnant avec un éclat éblouissant, tandis que les cors, malgré d’infimes approximations dans les attaques, ont enluminé cette partition qui leur donne la part belle, particulièrement dans le Poco allegretto. En ouverture de seconde partie du programme, les Six Pièces op. 6 d’Anton Webern, à l’orchestration si riche (bois par quatre ou cinq, cuivres par six, tuba, riche percussion – dont cloches tubes et célesta – harpe, cordes – 18, 16, 14, 12, 10 – Rattle a opté pour la version révisée en 1928 aux vents et cordes plus limités) et si peu exploitée dans les tutti qu’elle suscita la colère des premiers auditeurs en 1913 à la Musikverein de Vienne lors d’un mémorable concert cadre de l’un des scandales les plus retentissants de l’histoire de la musique. Rattle, qui dirige cette œuvre avec partition contrairement au deux autres, tire un merveilleux parti des textures légères et somptueusement colorées des Viennois, ménageant une puissance phénoménale préparée par des ppp sublimes et subtiles et concluant avec une fluidité et une transparence extraordinaire. Malgré ses cent ans, cette œuvre magistrale continue à désorienter le public, qui s’est fait plus bruyant et déconcentré que dans les œuvres qui l’encadraient. De la Symphonie n° 3 en mi bémol majeur dite « Rhénane » op. 97 de Robert Schumann qui concluait le concert, Rattle et les Wiener Philharmoniker ont tiré une luminosité inusitée, allégeant la trame trop souvent embrumée pour magnifier les lignes et les harmonies, servi par un orchestre moins fourni que celui de la symphonie de Brahms (14, 12, 10, 8, 6 cordes, bois et trompettes par deux, quatre cors, trois trombones), exaltant l’onirisme et l’expressivité de l’œuvre tout en soulignant sa rythmique vigoureuse. Un concert à marquer d’une pierre blanche.  
Bruno Serrou

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