samedi 11 février 2012

« Inori », messe pour le temps présent de Karlheinz Stockhausen, par l’Ensemble Intercontemporain


Cité de la Musique, vendredi 10 février 2012
Karlheinz Stockhausen, Inori, par l'Ensemble Intercontemporain (ici en répétition), Cité de la Musique. Photo : EIC (DR)
Rendez-vous très attendu Cité de la musique, hier soir, avec une partition majeure de l’une des figures emblématiques de l’avant-garde de la seconde moitié du XXe siècle : Inori de Karlheinz Stockhausen (1925-2007). Compositeur au mysticisme effréné, Stockhausen a mis plusieurs fois en musique la prière et ses variantes. Notamment en 1973-1974 avec Inori, ce qui signifie prière, invocation, adoration en japonais. Cette partition de soixante-treize minutes est en effet une suite d’« Adorations pour un ou deux solistes et orchestre (ou ensemble) » qui illustre et met en scène les gestes de la prière, gestes confiés à un ou deux mimes qui les exécutent de façon synchrone avec l’orchestre. Leur partie soliste est composée à la façon d’une mélodie, mais la relation entre le geste et la réponse de l’orchestre est si étroite que la « mélodie » soliste est invariablement exécutée dans le silence par un mime qui s’exprime en puisant dans un réservoir de gestes tirés de diverses pratiques religieuses recomposés conforme à une gamme chromatique. Bien que la partition spécifie que la partie des solistes peut être réalisée de multiples façons, même par toute sorte d’instrument mélodique, elle est toujours tenue par des mimes
Inori se présente pour l’essentiel telle une extension monumentale d’une miniature. Stockhausen a établi la grande forme de la pièce entière à partir de la brève formule fondamentale (Urgestalt) liminaire, structure mélodique et rythmique dont sont dérivées les caractéristiques principales de l’œuvre et par laquelle il a commencé la composition. Une noire de la formule correspond à une minute du reste de la partition. Constituée de quinze notes, la formule entière occupe la première minute d’Inori, qui va se déployer sur plus d’un tour d’horloge. Cette formule fondatrice est divisée en cinq sections présentées dans un ordre qui conduit du Rythme à la Polyphonie en passant par la Dynamique, la Mélodie et l’Harmonie, progression qui mène de l’origine de la musique jusqu’à une complexité d’ordre purement intellectuel. L’énoncé contient treize hauteurs de son différentes, plus deux autres qui seront reprises dans la conclusion. Aux treize hauteurs de son correspondent autant de tempos, d’intensités, de timbres et de gestes de prières (plus deux répétés à la fin). Ce n’est que dans la dernière section, Polyphonie, que la musique atteint un flux agile et énergique qui se fait de plus en plus rapide, après que, dans la section précédente, Harmonie, un éclat de couleurs orchestrales ait commencé à s’imposer.  
Bien que la nomenclature d’Inori soit classique, l’orchestre est réparti de façon peu commune. La percussion, constituée principalement de métaux (cloches plaques, rin japonais, crotales, grelots) et de deux vibraphones, et le piano sont isolés des autres, eux-mêmes distribués entre aigu et grave. En ménageant cette stricte division, Stockhausen a conçu un plan dynamique numéroté de un à soixante, attribuant le nombre inférieur à un violoniste isolé et le chiffre supérieur à l’orchestre au complet. La relation mimes/orchestre est millimétrée et interdépendante. Les gestes de prière des premiers déterminent l’amplitude et le ton de l’orchestre, qui augmente et oscille de concert. Plus leurs mains s’éloignent de leur corps, plus l’orchestre joue fort, plus leurs mains s’élèvent, plus le son est aigu, etc. Deux ans après la création de la version pour grand orchestre, Stockhausen reprenait Inori pour en réaliser une réduction pour ensemble (flûte/flûte piccolo, flûte/flûte en sol, 2 hautbois, 2 clarinettes en si bémol/clarinette en mi bémol, 2 bassons/contrebasson, 4 cors, 2 trompettes, 2 trombones/trombone basse, tuba, 3 percussionnistes, piano, 5 violons, 2 altos, 2 violoncelles, 2 contrebasses). 

C’est cette dernière version qu’a bien évidemment retenue l’Ensemble Intercontemporain qui l'a créée en 1977 sous la direction du compositeur, auquel se sont adjoints onze musiciens supplémentaires, dont la clarinettiste/cor-de-bassettiste Suzanne Stephens, proche de Stockhausen, qui jouait le rin japonais, tous répartis autour et sous un praticable sur lequel se sont postés les deux mimes, la flûtiste Kathinka Pasveer et le comédien-danseur Alain Louafi, deux fidèles collaborateurs du compositeur, qui surplombaient ainsi le chef d’orchestre, le Bavarois Wolfgang Lischke, qui connaît parfaitement les œuvres de Stockhausen avec qui il collaboré de façon étroite. Avec la présence de tels garants d’authenticité, l’interprétation d’Inori s’est avérée à la fois rigoureuse et intense sans pour autant dissimuler la difficulté d’exécution de la partition ni les quelques tunnels qu’elle contient. Mais les inconditionnels de Stockhausen ont été à la fête, tandis qu’un petit nombre de spectateurs réfractaires à la mystique sont partis dans des fous-rires impossibles à réfréner suscités principalement par les gestes et pauses des deux solistes, tandis que d’autres n’avaient de cesse de regarder l’heure et de répondre à des mails sur leurs Smartphones, sans le moindre égard pour leurs voisins…
Bruno Serrou

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