vendredi 13 janvier 2012

Matalón et Adámek ouvrent la 41e saison de l’ensemble 2e2m


Conservatoire Régional de Paris, Auditorium Marcel Landowski, Jeudi 12 janvier 2012 

 Ensemble 2e2m - Photo : DR

Voilà quarante ans, le compositeur Paul Mefano fondait l’ensemble 2e2m (2e pour « études (et) expression », 2m pour « (des) modes musicaux »), qui appartient à la première génération de formations à géométrie variable qui, dix-huit ans après le Domaine musical de Pierre Boulez, entendait associer des collectifs de compositeurs et de musiciens interprètes. Il en est ainsi depuis 1972, puisque, présidé par le compositeur Bernard Cavanna, le comité directeur de 2e2m est aujourd’hui encore constitué des deux entités, qui se veulent les garants de l’ouverture et du pluralisme musicaux. Avec plus de six cents créations, 2e2m peut s’enorgueillir d’avoir révélé un grand nombre d’œuvres et de compositeurs d’importance. Implanté à Champigny-sur-Marne au titre d’une résidence de création, l’ensemble irrigue la région parisienne et la France entière, mais aussi l’Europe et le monde dans le cadre de vastes tournées de concerts et de spectacles lyriques dont il est souvent l’un des coproducteurs.

Donné hier soir dans un Auditorium Marcel Landowski du Conservatoire à rayonnement régional de Paris archicomble, le premier concert de la saison 2011-2012 est emblématique de son activité, puisqu’il s’est ouvert sur une création mondiale du compositeur argentin Martín Matalón (né en 1958) et s’est conclu sur deux œuvres du compositeur en résidence cette année, le Tchèque Ondřej Adámek (né en 1978). Entre ces deux moments phares, se sont immiscés deux autres Tchèques, Martin Smolka (né en 1959) et Leoš Janáček (1854-1928).

Ecrit pour accordéon, flûte, clarinette, basson, cor, trompette, harpe, deux percussionnistes, violon et violoncelle, Trame X de Matalón appartient à la série générique inspirée du poème éponyme de Jorge Luis Borges (1899-1986), immense écrivain argentin à qui le compositeur est particulièrement attaché. C’est d’ailleurs avec un « parcours musical » sur La Rosa profunda présenté Centre Pompidou en 1992 qu’il s’est fait connaître en France. Depuis lors, l’essentiel de sa création puise dans le monde labyrinthique du poète. Construit en quatre mouvements, Trame X se fonde sur l’articulation des concepts, dans leur échange, leur agilité, leur développement dans le temps, comme l’explique le compositeur. Autant que l’on puisse en juger par cette première audition, l’œuvre est riche en timbres et en dynamiques et, comme toujours chez Matalón, expressive, prenant l’auditeur par la main pour ne plus le lâcher, grâce notamment à l’atmosphère onirique exaltée par l’accordéon.

Die Seele auf dem Esel (L’âme de l’âne) pour flûte, clarinette, piano, percussion, violon, alto et violoncelle de Martin Smolka n’était donné partiellement, en première audition française. Compositeur praguois, Smolka tient une place centrale dans la musique contemporaine tchèque comme l’un des fondateurs de l’Ensemble Agon dont il a été le directeur artistique jusqu’en 1998. Ecrit en 2008 pour la Radio bavaroise, comptant initialement six mouvements réduits à quatre pour une seconde version, Die Seele auf dem Esel s’appuie sur le contraste entre le forte et le silence, le vif et le lent, le tutti et le solo, l’exaspération et le calme, avec pour assise le violoncelle. Il résulte ainsi de cette pièce une force expressive authentique avivée par la virtuosité de l’écriture instrumentale.

Forte déception en revanche dans l’admirable Capriccio pour piano pour la main gauche, flûte et sextuor de cuivres (1926) de Leoš Janáček que les musiciens de l’ensemble 2e2m semblaient découvrir au moment du concert. Au point que leur chef et directeur artistique Pierre Roulier a dû faire recommencer par trois fois les premières mesures. De guerre lasse, il a finalement laissé filer l’exécution – terme qui peut être ici pris au sens premier – de l’œuvre jusqu’à son terme, mais sans convaincre pour autant. Il est triste d’avoir assisté impuissant à ce naufrage qui conduisait ces musiciens au demeurant excellents aux portes de l’asphyxie, sans jamais parvenir serait-ce qu’à s’approcher un tantinet des couleurs caractéristiques du compositeur morave qui le font à la fois si original et si intense dans l’expression et l’émotion. Même la pianiste, Véronique Briel, est restée à l’extérieur du propos, se limitant à tenir sa partie avec un son étroit et sans carnation.

Le pauvre Capriccio était encadré par deux pages d’Ondřej Adámek. La première, Rapid Eye Movements pour quatuor à cordes et électronique, est datée 2003-2005. Certes exigeante, avec sa geste reposant sur la respiration et la pulsation cardiaque, cette œuvre nécessitait-elle pour autant la présence d’un chef d’orchestre, certes doté d'un curseur à ses pieds, pour être convenablement exécutée ? Le second quatuor, avec électronique en temps réel, de Philippe Manoury, Tensio (2010), pourtant plus complexe que celui d’Adámek, avait été créé par le Quatuor Diotima  sans pareil soutient, après avoir été longuement préparé par les musiciens avec la seule présence de son auteur et chaque musicien disposant de son propre curseur informatique au pied. Ce qu’Adámek n’a certainement pas manqué de faire, puisqu’il assistait à ce concert, bien qu’il vive désormais à Berlin, d’autant plus qu’il s’agissait hier soir, rappelons-le, du premier rendez-vous public de sa résidence 2e2m. Création en France, B-low Up pour flûte, hautbois, deux clarinettes, cor, trompette, trombone, piano, harpe, accordéon, deux percussionnistes (dont un jouant dans le coffre du piano) et quintette à cordes avec contrebasse (2009-2010), renvoie peut-être au célèbre film de Michelangelo Antonioni Blow Up (1966), mais a aussi et surtout pour référent le souffle, l’extension, la déflagration (Bellow (and) up). Cette pièce en trois parties est pleine de bruits et de silences, tandis que les instruments sont utilisés au-delà de leurs propriétés, au point qu’il en sort des sons inusités qui les rendent souvent méconnaissables suscitant parfois une confusion judicieuse, une trompette pouvant sonner comme un violon, une clarinette comme un accordéon, tandis que le coffre du piano est à lui seul un véritable aquarium.


BRUNO SERROU

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