vendredi 16 décembre 2011

Matthias Pintscher enthousiasme l'Ensemble Intercontemporain et son public

Jeudi 15 décembre 2011, Cité de la Musique
 
Succès public ce jeudi soir Cité de la musique où était donné le dernier concert de l'édition 2011 du Festival d'Automne à Paris, en présence de Pierre Boulez et de nombreuses personnalités du monde musical. Un concert de très grande qualité dirigé avec maestria par Matthias Pintscher, avec des auditeurs plus concentrés et enthousiastes que dans d'autres salles fréquentées par le festival. Le programme présentait trois œuvres importantes nées dans la première décennie de ce XXIe siècle, interprétées par un Ensemble Intercontemporain en très grande forme, précis, enthousiaste, convaincu, jouant avec une aisance remarquable, apparemment heureux d'être dirigé par le compositeur allemand, qui, pour ce qui semble avoir été sa première prestation française au pupitre de chef alors qu'il s'y produit depuis longtemps déjà à travers le monde.
Signée du regretté Fausto Romitelli (1963-2004), la première pièce a suscité une grande émotion. Composée en 2001, Amok Koma fait appel à neuf instruments  (flûte, deux clarinettes/clarinette basse, percussion, piano, synthétiseur, violon, alto, violoncelle) et électronique. Conçue au CIRM, Centre de recherche musicale de Nice, créée dans le cadre du Festival Manca 2001 par l'Ensemble Itinéraire dirigé par Marc Foster, cette œuvre est l'une des plus accomplies de son auteur. Le compositeur italien, qui fut l'un des premiers à intégrer, voire ingérer les musiques populaires comme la pop', le rock, la techno, le métal, et autres hybrides, élève ces éléments disparates au rang de musiques novatrices en les métissant avec art et savoir-faire, la fusion se faisant dans une structure rigoureuse et rationnellement élaborée. Ce qui se retrouve dans Amok Koma, où la matière répétitive dans l'esprit du rock, mais avec un riche nuancier, se dégrade peu à peu avec l'appui de l'électronique, ce qui déstabilise voire annihile les repères auditifs de l'auditeur.
Suivait une pièce magnifique pour baryton et ensemble de Matthias Pintscher (né en 1971) composée en 2009 sur les textes en hébreux extraits du Cantique des cantiques, Songs from Salomon's Garden. Donnée en première audition mondiale à New York le 16 avril 2010 par Thomas Hampson, l'Orchestre Philharmonique de New York dirigé par Alan Gilbert, cette émouvante partition pour baryton, flûte/flûte piccolo, hautbois, clarinette, clarinette basse, basson/contrebasson, cor, deux trompettes, trombone, trois percussionnistes, piano, harpe, quatre violons, trois altos, deux violoncelles et contrebasse, cette bouleversante partition aux élans expressionnistes où le temps semble suspendu dans l'éternité suscite la tendresse et l'émoi, en authentique chant d'amour d'autant plus émouvant qu'il était confié à un baryton au timbre de braise, le Britannique Leigh Melrose, qui semblait vivre ce grand lied de l'intérieur, tandis que les timbres de l'Intercontemporain enveloppaient sa voix avec un tel tact qu'il lui ont donné ainsi qu'au texte un relief tel qu'ils semblaient eux même chanter une poignante polyphonie. Ces "Chants du Jardin de Salomon" sont un pur chef-d'œuvre, ce qui dit combien Pintscher a d'atouts pour réussir dans le théâtre lyrique, ce dont l'on a pu douter au soir de la création de son premier opéra, l'Espace dernier, à l'Opéra de Paris, en 2004.
Le concert s'est achevé sur une ample partition de plus de quarante minutes d'Olga Neuwirth (née en 1968), artiste centrale de cette édition du Festival d'Automne, au titre "cagien" (ou kandinskien), Construction in Space pour quatre solistes (flûte et flûte basse, clarinettes basse et contrebasse, saxophones ténor et baryton, tuba basse), quatre groupes instrumentaux dispersés autour de la salle et électronique en temps réel (2000)  œuvre dédiée à Pierre Boulez pour ses 75 ans. Créée le 12 septembre 2001 à Innsbruck par l'ensemble Klangforum Wien dirigé par Emilio Pomarico, cette pièce foisonnante aux climats multiples, qui aurait néanmoins gagné à être légèrement resserrée, surprend et captive. Après une séquence d'ouverture indubitablement inspirée du début de Répons du dédicataire, de même que la spatialisation des effectifs instrumentaux avec les groupes (en tout vingt musiciens ajoutés aux solistes) répartis autour d'un quintette (piano, quatuor à cordes avec contrebasse) central et constitués d'éléments différents de  ceux de la  grande partition de son dédicataire, l'œuvre acquiert rapidement ses couleurs et sa forme spécifiques, les sonorités, l'atmosphère et la structure étant bel et bien de l'univers sonore de Neuwirth essentiellement campé ici dans les registres graves. Dirigé depuis le milieu du public avec un plaisir évident par Pintscher en présence de la compositrice autrichienne, l'Ensemble Intercontemporain est apparu dans une forme éblouissante, tandis que ses solistes (Emmanuelle Ophèle, Alain Billard, Vincent David et Gérard Buquet) ont attesté d'une virtuosité et d'une musicalité confinant cette pièce au rang de classique, tant leur jeu s'est avéré naturel.
Bruno Serrou

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